Entrepreneuriat Féminin au Liban:
Défis, Opportunités et Perspectives d’Avenir
Madame Corine Kiame
Présidente de la Lebanese League for Women in Business (LLWB)
Dans cette entrevue exclusive, nous avons l’honneur d’échanger avec Madame Corine Kiame, une figure clé du secteur financier et de l’entrepreneuriat au Liban. Avec un parcours riche en expérience et un engagement fort pour l’autonomisation économique des femmes, Mme Kiame, récemment élue Présidente de la Lebanese League for Women in Business (LLWB), partage avec nous sa vision sur l’accès des femmes entrepreneures aux financements et aux opportunités commerciales dans un contexte économique en mutation.
Nous explorerons ensemble les défis et opportunités du leadership féminin, les initiatives menées par la LLWB, ainsi que l’impact des nouvelles dynamiques économiques sur l’entrepreneuriat féminin dans le monde arabe. Mme Kiame nous livrera également son analyse sur les solutions à mettre en place pour faciliter l’accès des femmes aux ressources financières, aux réseaux stratégiques et aux marchés internationaux.
Comment renforcer la participation des femmes dans l’économie? Quels sont les leviers à actionner pour favoriser l’essor de leurs entreprises? Quels enseignements tirer des success stories féminines? Autant de questions cruciales que nous aborderons au cours de cette discussion inspirante.
* Mme Kiame, Pour commencer, pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel et des moments clés qui ont façonné votre carrière, ainsi que des défis que vous avez surmontés en tant que femme leader dans un domaine aussi compétitif?
J’ai 25 ans d’expérience dans le secteur bancaire et financier. Diplômée de l’Université Saint-Joseph en économie, j’ai poursuivi mes études à Paris, où j’ai obtenu un Master en Finance à l’Université Paris IX Dauphine.
Ma carrière professionnelle a débuté en 2005 à Shuaa Capital PSC Dubai, où nous opérions dans le trading sur les marchés du Levant et du GCC, couvrant 15 pays et atteignant 1 milliard de dollars d’actifs sous gestion. Ce fut une expérience marquante et formatrice.
En 2015, après 12 années d’une riche expérience à Dubaï, j’ai décidé de revenir à Beyrouth à un moment clé pour le Liban. La Banque du Liban venait de publier la Circulaire 331 en 2014, mise en œuvre en 2015, permettant aux banques libanaises d’investir entre 4 % et 6 % de leur capital dans des startups et des entreprises en phase de démarrage. Cette initiative a entraîné un afflux de fonds de gestion de capital-risque, avec le retour de nombreux investisseurs du Liban, de Dubaï et de Londres. Ainsi, 12 fonds de capital-risque ont vu le jour, chacun disposant d’un capital compris entre 30 et 50 millions de dollars, intégralement financé par des banques commerciales.
En 2015, j’ai rejoint IM Capital, un fonds doté de 15 millions de dollars entièrement financé par l’USAID. Contrairement aux autres acteurs de l’écosystème, nous étions en dehors du cadre de la Circulaire 331, ce qui nous a permis d’adopter une approche différenciée. À ses débuts, IM Capital était l’un des plus petits fonds d’investissement du Liban, mais après huit années de croissance, j’ai quitté mon poste de Chief Investment Manager en laissant derrière moi un fonds de 79 millions de dollars d’actifs sous gestion, malgré les défis économiques du pays.
En 2023, j’ai été élue Présidente de la LLWB (Lebanese League for Women in Business). L’objectif de la LLWB est de défendre les droits économiques des femmes, de les soutenir dans leurs entreprises et de promouvoir leur accès aux postes de leadership. Nous travaillons actuellement sur un projet de loi visant à imposer un quota de 30 % de représentation féminine dans les conseils d’administration des entreprises privées.
* Quel est le rôle de la Ligue des femmes d’affaires libanaises dans la promotion de l’entrepreneuriat féminin au Liban et dans la région arabe? Quelles initiatives phares avez-vous mises en place récemment?
La Lebanese League for Women in Business (LLWB) a été fondée en 2006. Notre nouveau conseil d’administration, composé de sept femmes, a pris ses fonctions pour un mandat de trois ans (avril 2023 – avril 2026). Bien que notre conseil soit exclusivement féminin, nous croyons en la diversité et aimerions voir une représentation masculine au sein de notre gouvernance.
À la LLWB, nous prenons l’entrepreneuriat très au sérieux, en particulier face à la montée du chômage au Liban. En effet, à la fin de 2023, le taux de chômage atteignait >33 %, contre 11,8 % en 2018. Après le conflit de l’année dernière, ce chiffre aurait grimpé entre 40 % et 45 %, bien que les données officielles restent à finaliser. Dans ce contexte, l’entrepreneuriat représente pour nous une solution essentielle: il ne s’agit plus seulement de chercher un emploi, mais de créer son propre travail afin de préserver son indépendance économique.
Nous concentrons nos efforts sur la formation et le renforcement des capacités, en mobilisant chaque année des financements auprès d’institutions internationales et de bailleurs de fonds. Nos projets visent principalement à soutenir des startups dirigées par des femmes, en facilitant leur accès au financement et aux marchés, notamment à l’exportation. Le marché libanais étant limité, nous œuvrons à établir des partenariats avec des acteurs internationaux pour aider nos membres à exporter leurs produits, qu’il s’agisse de technologies ou de biens manufacturés.
Un autre axe fondamental de notre travail est le plaidoyer pour une plus grande représentation des femmes dans les conseils d’administration. L’accès des femmes libanaises au financement reste extrêmement faible: en 2023, seulement 8 % des femmes étaient entrepreneures, et parmi elles, seulement 17 % ont obtenu un financement auprès des institutions financières. Ce chiffre est alarmant et justifie notre engagement à changer la donne.
En 2024, nous avons lancé 12 projets en faveur des 820 membres de la LLWB et des 9 100 parties prenantes impliquées. Nous avons également signé plusieurs Mémorandums d’Entente (MoU) avec des institutions internationales et régionales afin d’accompagner nos membres sur des thématiques essentielles telles que l’exportation, la formation, la gestion budgétaire et le financement, les préparant ainsi à devenir «investment ready».
Tous nos projets sont fondés sur des données précises et détaillées. Le 12 mars 2024, nous publierons la version finale d’une étude sur la représentation des femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées à la Bourse de Beyrouth (Beirut Stock Exchange – BSE) et des institutions publiques. Financé par l’Ambassade du Royaume-Uni à Beyrouth, ce projet révèle des chiffres préoccupants:
- Entreprises cotées en bourse: Sur neuf grandes entreprises (de stature mondiale), les conseils d’administration comptent 63 sièges, dont 59 occupés par des hommes et seulement 4 par des femmes i.e.6.3%.
- Institutions publiques: La représentation féminine dans les conseils d’administration est de 11,3 %, avec des écarts notables entre les zones rurales et urbaines.
Le 12 mars, lors d’une table ronde organisée par la LLWB, nous discuterons des raisons de cette sous-représentation et des solutions à mettre en place pour y remédier.
*Avec les évolutions économiques et technologiques, comment voyez-vous le rôle des femmes entrepreneures évoluer au Liban et dans le monde arabe dans les prochaines années? Quels sont les principaux obstacles qui restent à lever?
Comme je vous l’ai mentionné précédemment, le nombre de femmes entrepreneures au Liban est extrêmement faible, tout comme l’accès aux financements. Il est important de noter que l’ensemble de l’écosystème de financement a pratiquement disparu au cours des quatre dernières années, principalement en raison de la crise bancaire et financière que traverse le pays.
La situation des banques et des déposants a fortement contribué à cette impasse. Depuis la crise économique de 2019, le secteur bancaire libanais est en grande difficulté, avec des restrictions strictes sur les retraits et les transferts de fonds. Cette instabilité a non seulement affaibli la confiance des investisseurs, mais elle a aussi paralysé l’octroi de crédits aux particuliers et aux entreprises. Aujourd’hui, aucun crédit n’a été accordé aux entrepreneurs depuis des années, rendant encore plus difficile la création et la croissance des startups, en particulier celles dirigées par des femmes.
Afin de comprendre pourquoi si peu de femmes se lancent dans l’entrepreneuriat, au-delà des obstacles financiers déjà identifiés, nous avons mené plusieurs recherches. La dernière étude réalisée par ONU Femmes met en lumière un problème fondamental.
Le paradoxe libanais: un écart frappant entre l’éducation et l’emploi.Aujourd’hui, l’accès à l’enseignement supérieur au Liban est équilibré: 50 % des étudiants sont des femmes et 50 % des hommes. De plus, 47 % des diplômées féminines obtiennent des diplômes supérieurs à ceux de leurs homologues masculins. Pourtant, lorsqu’il s’agit du marché du travail, la situation change radicalement: seulement 28 % des femmes intègrent le monde professionnel, contre 75 % des hommes.
Ce phénomène, qualifié de «paradoxe libanais», souligne une contradiction majeure: bien que les femmes soient hautement éduquées, elles restent largement sous-représentées dans l’emploi et l’entrepreneuriat.
Les freins à l’entrepreneuriat féminin: des choix de filières limitants:
L’une des principales raisons derrière cette situation est la répartition inégale des femmes dans les filières d’études. Selon les recherches:
– 80 % des étudiantes choisissent les domaines de l’éducation, des arts et des sciences sociales,
– Seulement 16 % des femmes sont présentes dans les filières STEM et ICT (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques).
Or, nous savons que ces secteurs sont les moteurs de l’économie de demain. L’avenir entrepreneurial repose sur des innovations technologiques, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, les énergies vertes et la transformation numérique. Les femmes libanaises étant sous-représentées dans ces domaines, elles sont moins préparées à créer des entreprises compétitives, durables et capables de s’exporter sur le marché global.
Une transformation culturelle et un changement de perception nécessaires:
En plus des obstacles académiques et économiques, les normes sociales et culturelles jouent un rôle déterminant. Dans la société libanaise, l’entrepreneuriat féminin est encore perçu comme secondaire ou risqué, et de nombreuses femmes font face à des barrières psychologiques et familiales qui limitent leurs ambitions.
Pour dépasser ces freins, un effort massif en matière de sensibilisation et de marketing est nécessaire afin de:
– Encourager les jeunes filles à s’orienter vers les filières technologiques et innovantes dès le lycée et l’université.
– Briser les stéréotypes de genre et montrer des modèles de réussite féminine dans la Tech, l’IA et l’entrepreneuriat.
– Mettre en place des programmes de mentorat et d’accompagnement pour soutenir les femmes dans la création et le développement de leurs startups.
– Créer un environnement favorable à l’investissement dans les entreprises dirigées par des femmes, en facilitant l’accès aux financements et aux réseaux d’affaires.
En somme, si nous voulons voir émerger une génération de femmes entrepreneures au Liban, il est impératif d’agir sur plusieurs fronts: l’éducation, l’accès au financement, la transformation des mentalités et l’adaptation aux enjeux économiques de demain.
* Quels sont les secteurs les plus résilients au Liban en période de crise, et comment peuvent-ils offrir davantage d’opportunités aux femmes entrepreneures?
Le Liban a traversé de nombreuses crises au cours des cinq dernières années, impactant tous les secteurs de son économie: la pandémie de COVID-19, l’explosion du port de Beyrouth, la crise énergétique, l’effondrement du système bancaire, et plus récemment, la guerre. Avant ces crises, l’écosystème financier comptait environ 15 institutions spécialisées dans le financement des entrepreneurs. Ces structures ont disparu, car leur financement provenait essentiellement des banques commerciales, elles-mêmes lourdement touchées par la crise.
Cependant, dans toute crise, certains secteurs montrent une résilience plus forte que d’autres. Malgré ces bouleversements, certains domaines du financement continuent de mieux performer que d’autres. L’objectif est d’analyser quels secteurs résistent le mieux en période de crise et pourquoi ils parviennent à tirer leur épingle du jeu.
En 2020, par exemple, le secteur technologique a connu une forte croissance en raison de la pandémie, qui a accéléré la transformation numérique. À l’époque, je travaillais encore à l’IM, et nous avons lancé un fonds de 12 millions de dollars, financé à hauteur de 6 millions de dollars par l’USAID et complété par une levée de fonds privée de 6 millions de dollars, malgré la crise économique. Ce fonds a permis d’investir dans 11 entreprises technologiques au Liban, qui ont su prospérer malgré la crise bancaire et la dévaluation de la livre libanaise.
Un autre secteur ayant bien performé est l’industrie manufacturière locale. Comme vous le savez, la dévaluation d’une monnaie rend les produits nationaux plus compétitifs à l’exportation. De plus, l’hyperinflation a poussé le pays à substituer les importations par une production locale. Ainsi, ces trois dernières années, les entreprises manufacturières locales ont réalisé de belles performances. Par ailleurs, l’effacement massif des dettes locales des entreprises – qui ont pu être réglées à seulement 10 % de leur valeur initiale – a constitué un tournant majeur pour nombre d’entre elles. Cela leur a permis de redevenir compétitives, soit en exportant, soit en remplaçant des produits auparavant importés.
Dans ce contexte, la LLWB va concentrer son action sur quatre secteurs clés:
- L’industrie manufacturière locale, qui a bénéficié de la substitution aux importations et de la compétitivité accrue à l’exportation.
- La tech et la fintech, qui ont démontré leur résilience et leur potentiel de croissance, même en temps de crise.
- Les énergies renouvelables, un secteur stratégique pour l’avenir du Liban, qui doit réduire sa dépendance aux combustibles fossiles.
- Le tourisme, l’hôtellerie et les industries créatives, des secteurs à fort potentiel, notamment pour l’emploi des femmes, et qui s’alignent sur les tendances mondiales en pleine évolution.
Enfin, nous devons anticiper les mutations du marché du travail: d’ici cinq ans, l’intelligence artificielle transformera profondément les métiers et les compétences requises. Il est donc essentiel de suivre cette évolution et d’adapter nos stratégies en conséquence.
– Selon vous les banques ont-elles un rôle de moteur ou freinent-elles encore l’entreprenariat?
Les banques jouent un rôle moteur dans le soutien à l’entrepreneuriat, notamment en participant à des initiatives telles que le 2X Challenge. Lancées en 2018 par les institutions de financement du développement (IFD) des pays du G7, cette initiative vise à mobiliser des investissements en faveur de l’autonomisation économique des femmes.
Le 2X Challenge définit une entreprise dirigée par des femmes selon les critères suivants:
- Leadership féminin: présence d’au moins une fondatrice ou cofondatrice, ou une femme occupant un poste de direction influent (PDG, Directrice Générale, CFO, COO, etc.).
- Propriété féminine: détention d’au moins 51 % du capital par des femmes pour les PME, ou 20 % pour les grandes entreprises.
- Employées femmes: au moins 30 % de l’effectif total composé de femmes.
- Conseil d’administration: au moins 30 % des sièges occupés par des femmes.
- Produits et services inclusifs: offre de produits ou services répondant aux besoins des femmes ou contribuant à leur autonomisation économique.
Ces critères permettent aux institutions financières et aux investisseurs d’identifier et de promouvoir les entreprises favorisant la participation économique des femmes.
Il est essentiel que les banques et les institutions financières proposent des taux avantageux aux femmes entrepreneures. Toutes les recherches démontrent que la diversité au sein des entreprises favorise une meilleure performance financière et économique. Selon une étude d’ONU Femmes, chaque dollar investi dans une femme génère en moyenne 0.78 USD de revenus, contre seulement 0,31 USD lorsqu’il est investi dans un homme. Cette différence significative souligne l’impact économique direct de l’autonomisation financière des femmes. De plus, une étude du European VC Network révèle qu’une augmentation de 10 % du nombre de femmes au sein d’une institution entraîne une hausse de 1,33 % du rendement global. Ces chiffres confirment que les entreprises et institutions ayant une représentation féminine plus élevée sont plus performantes et plus rentables.
Au Liban, une étude économique indique que si le taux de participation des femmes dans la population active augmentait de 25 %, le PIB du pays connaîtrait une croissance équivalente de 9 %. Cela démontre que l’intégration accrue des femmes dans l’économie est non seulement une question d’équité, mais aussi une stratégie efficace pour stimuler la croissance économique nationale et régionale.
Ainsi, les banques et institutions financières ont tout intérêt à appliquer les principes du 2X Challenge, non seulement pour identifier les entreprises dirigées par des femmes, mais aussi pour leur accorder des conditions de financement préférentielles. Offrir des taux avantageux aux femmes entrepreneures ne constitue pas une mesure de faveur, mais une décision stratégique basée sur des résultats concrets, favorisant un retour sur investissement plus élevé et une croissance économique plus inclusive.
* Quels sont les biais technologiques qui désavantagent les femmes dans l’intelligence artificielle et comment peut-on les corriger pour une meilleure inclusion?
Sur le plan technologique, j’ai une forte inclination pour deux secteurs en particulier: la fintech et le domaine médical. Cependant, ces deux industries restent particulièrement difficiles à pénétrer et à transformer de manière significative.
D’un point de vue des outils technologiques, un enjeu critique se pose. Par exemple, les solutions d’intelligence artificielle, comme ChatGPT, présentent des biais structurels qui désavantagent les femmes. Ces technologies sont souvent formées sur des ensembles de données qui reflètent des inégalités existantes, ce qui perpétue un certain déséquilibre dans leur utilisation et leur impact. Il est essentiel d’agir pour garantir que l’intelligence artificielle et les outils numériques servent à réduire les écarts plutôt qu’à les creuser.
On parle souvent du plafond de verre (Glass ceiling), cette barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder aux plus hauts postes et opportunités. Mais, selon moi, il est encore plus pertinent de parler du plancher collant (sticky floor), un phénomène insidieux qui maintient les femmes dans des positions précaires et limite leur progression dès le départ. Ce sont ces freins structurels qu’il faut déconstruire.
Nous pouvons et devons faire mieux. Il est essentiel que nous, les femmes, ayons confiance en nos capacités et en nos ambitions. Trop de femmes hésitent encore à chercher un financement pour leurs projets, convaincues qu’elles ne seront pas éligibles ou qu’elles n’ont pas les compétences requises. Ce manque de confiance est un obstacle majeur que nous devons surmonter, en valorisant nos idées, en osant solliciter du soutien, et en croyant fermement en notre potentiel entrepreneurial.
* La Ligue des femmes d’affaires libanaises travaille-t-elle actuellement avec des banques ou des organisations internationales pour soutenir l’entrepreneuriat féminin?
Nous sommes aujourd’hui plus proches des incubateurs et des accélérateurs, mais la Lebanese League for Women in Business (LLWB) ne dispose pas de connexions directes ni de partenariats avec les banques au Liban. Cette situation s’explique par l’effondrement du système bancaire, qui a fortement impacté les mécanismes de financement des incubateurs et des accélérateurs.
Si l’accès au financement demeure un défi majeur, nous avons en revanche développé un important réseau en matière d’accès au marché. À ce titre, nous avons signé des protocoles d’accord (MoU) avec plusieurs institutions clés, notamment l’ESA Business School, l’Arab Open University, Fairtrade, LAU et l’Institut des Finances, dans le but de renforcer les capacités et de proposer des formations adaptées aux besoins de nos membres entrepreneures.
Toutefois, l’accès au financement ne peut pas reposer uniquement sur des initiatives individuelles ou sectorielles. Il est crucial qu’il soit abordé à une échelle nationale, à travers des politiques et des stratégies de soutien adaptées aux besoins des femmes entrepreneures libanaises. Une approche systémique et coordonnée, impliquant les acteurs publics et privés, est nécessaire pour garantir un environnement plus propice au développement de leurs projets et à leur inclusion dans l’économie.
* Avez-vous un exemple d’une femme entrepreneure libanaise ou arabe qui a réussi grâce au soutien de la LLWB ou d’une banque partenaire? Quel impact cette réussite a-t-elle eu sur sa communauté?
Le parcours de nombreuses femmes entrepreneures libanaises témoigne de la résilience et du potentiel du leadership féminin dans l’innovation et la technologie, même dans un contexte économique difficile. Deux exemples marquants illustrent cette dynamique:
- MYKI – Une Success Story Libanaise dans la Cybersécurité
MYKI, une startup libanaise spécialisée dans la gestion décentralisée des identités numériques et des mots de passe, a récemment été acquise par la société technologique américaine JumpCloud, un leader mondial du secteur. Cette acquisition marque une avancée majeure pour l’écosystème des startups libanaises, démontrant que l’innovation locale peut atteindre une reconnaissance internationale.
Grâce à son modèle unique de gestion des identifiants, MYKI a contribué à renforcer la cybersécurité et la protection des données pour des milliers d’utilisateurs à travers le monde. Cette réussite illustre l’impact des femmes entrepreneures dans la tech, et leur capacité à développer des solutions innovantes répondant aux défis numériques globaux.
- OSTAZ (Anciennement SYNKERS) – Révolutionner l’Éducation en Ligne
Autre exemple inspirant, la startup Synkers, cofondée en 2017 par Audrey Nakad et Zeina Sultan, a été rachetée par Inspired Education Group, un groupe éducatif mondial, et rebaptisée Ostaz. Cette plateforme de tutorat en ligne, née au Liban, a révolutionné l’accès à l’éducation personnalisée dans la région MENA, en mettant en relation des étudiants et des tuteurs qualifiés via une interface numérique intuitive.
Ce rachat représente une étape clé pour l’EdTech dans le monde arabe, prouvant que l’innovation dans l’éducation peut franchir les frontières et s’intégrer à des réseaux internationaux. Ostaz continue d’avoir un impact significatif sur l’apprentissage des jeunes, en rendant le soutien scolaire accessible à un plus grand nombre d’étudiants, indépendamment de leur localisation ou de leur situation économique.
Ces deux exemples démontrent que les startups dirigées par des femmes libanaises ont le potentiel de transformer des industries clés, comme la cybersécurité et l’éducation. Leur succès encourage non seulement d’autres femmes à entreprendre, mais stimule également l’écosystème entrepreneurial libanais, en attirant des investisseurs et en créant des opportunités d’emploi.
Ces réussites montrent également l’importance de l’accès au financement, à l’accompagnement et aux réseaux professionnels, des facteurs déterminants pour permettre aux entrepreneures de scaler leurs entreprises et de conquérir des marchés internationaux. L’implication des incubateurs, accélérateurs et institutions financières est essentielle pour continuer à favoriser l’émergence de nouvelles success stories féminines dans le monde des startups au Liban et dans la région arabe.
* Que pensez-vous du concours InspireHer lancé par l’Union des Banques Arabes en partenariat avec l’Union pour la Méditerranée? Croyez-vous que de telles initiatives peuvent réellement transformer l’accès des femmes entrepreneures aux financements et aux opportunités commerciales?
* Si vous aviez une recommandation pour maximiser l’impact de ce concours, quelle serait-elle?
Je suis convaincue que le concours InspireHer représente une avancée majeure pour faciliter l’accès des femmes entrepreneures au financement. Toutefois, l’enjeu principal ne réside pas uniquement dans l’obtention des fonds, mais surtout dans l’accompagnement post-financement. En effet, une gestion stratégique du capital est essentielle:
- Certaines entreprises, par crainte de prendre des risques, n’utilisent pas efficacement les fonds obtenus et finissent par sous-performer.
- D’autres, au contraire, dépensent leur capital trop rapidement et se retrouvent en difficulté financière, voire en faillite.
La clé du succès réside dans une approche flexible et agile, où les entrepreneures comprennent comment le marché réagit à leur produit et ajustent leur stratégie en conséquence. Il ne suffit pas d’accéder au financement, encore faut-il savoir l’utiliser intelligemment pour assurer la croissance et la pérennité de l’entreprise.
Pour que InspireHer ait un impact durable et efficace, plusieurs éléments doivent être pris en compte:
1- Un accompagnement post-investissement structuré
- Le mentorat et le coaching sont essentiels après l’obtention des fonds. Un suivi régulier permettrait aux entrepreneures de bénéficier des conseils d’experts et d’éviter les erreurs courantes dans la gestion du capital.
2- Une représentation au sein des instances décisionnelles
- La présence de femmes au conseil d’administration ou dans les organes de gouvernance des entreprises financées peut renforcer leur position et assurer une meilleure gestion stratégique à long terme.
3- Des instruments financiers adaptés aux femmes entrepreneures
- Il est crucial de s’assurer que les solutions financières proposées dans le cadre du concours soient conçues pour répondre aux besoins spécifiques des femmes. Cela pourrait inclure des taux d’intérêt préférentiels, des délais de remboursement flexibles ou des conditions de financement adaptées pour favoriser la croissance des entreprises dirigées par des femmes.
En intégrant ces éléments, InspireHer pourrait véritablement transformer l’accès des femmes au financement et leur offrir des opportunités concrètes de développement économique. L’objectif ne doit pas seulement être d’accorder des fonds, mais d’accompagner ces entrepreneures vers une gestion efficace et durable de leur capital, pour garantir le succès de leurs entreprises et leur impact à long terme.
* Avant de conclure, avez-vous un message que vous aimeriez adresser aux femmes entrepreneures qui, malgré les défis, souhaitent lancer ou développer leur entreprise?
Soyez audacieuses, osez, et avancez avec détermination. Trop de femmes talentueuses hésitent, se retiennent ou reculent face à l’incertitude ou aux situations inconfortables. Pourtant, le courage ne signifie pas l’absence de peur, mais la capacité d’agir malgré elle. Chaque jour apporte son lot de doutes et de défis, mais il faut avancer même avec la peur.
L’entrepreneuriat n’est jamais un chemin tranquille, il est souvent semé d’embûches, d’incertitudes et de décisions difficiles. Mais c’est aussi un puissant levier de transformation personnelle et collective. Le secteur privé détient une force immense pour créer des opportunités et briser les barrières, mais il ne suffit pas d’initiatives isolées. Nous avons besoin d’un véritable mouvement, d’une dynamique collective où les femmes s’entraident, se soutiennent et s’élèvent ensemble.
Alors, ne vous sous-estimez pas, n’attendez pas l’environnement idéal, lancez-vous! Le changement commence avec celles qui osent, même lorsque tout semble incertain.