Investissements durables et infrastructures stratégiques:
catalyser la transition économique en
Méditerranée Infra & Energy – Paris
Laurent Zylberberg
Contrôleur Général de la Caisse des Dépôts Président
du Conseil d’Administration STOA Infra & Energy – Paris
Face aux défis croissants du changement climatique, de la transition énergétique et de la pression démographique, le bassin méditerranéen doit repenser son modèle de développement. Dans cet article, Laurent Zylberberg explore le rôle structurant des investissements durables dans les infrastructures stratégiques. Il met en lumière des solutions concrètes, telles que le modèle de STOA et des Caisses des Dépôts, pour catalyser une croissance partagée et résiliente.
Il n’est pas besoin d’étudier longuement un planisphère pour se rendre compte que le bassin méditerranéen est le lieu de rencontres entre des mondes économiques qui n’ont cessé d’échanger depuis des siècles au-delà de leurs différences. Entre une rive Nord qui regroupe des pays à hauts revenus, un versant Est qui est le débouché naturel de l’Asie et la rive Sud, théâtre de contrastes démographiques et économiques, les enjeux de transition sont majeurs et induisent des tensions multiples qui parfois occultent les nombreuses opportunités.
I. Les défis de la transition en Méditerranée
Le tableau mondial n’incite guère à l’optimisme. On constate que les besoins sont en forte croissance alors que les acteurs publics disposent de moyens limités et que les projets sont de plus en plus complexes à financer. Quelques données illustrent ce triple défi. Tout d’abord les besoins. Ils sont connus pour les années à venir, entre 2023 et 2030, l’accroissement de la demande en énergie en Afrique sera de l’ordre de 45%, la population du continent africain sera multipliée par deux d’ici 2050 alors même que près de 50% de la population mondiale ne dispose pas d’un réseau d’assainissement fiable. Les finances publiques sont fortement contraintes et doivent faire face à un endettement croissant. La dette publique mondiale a explosé et devrait atteindre 100% du PIB en 2030 alors que l’endettement des pays du Sud a doublé durant la décennie des années 2010. Enfin, les financements sont de plus en plus complexes puisque les risques liés aux crises climatiques et géostratégiques sont de plus en plus lourds à supporter et que la supervision des acteurs financiers produit des effets procycliques de court terme et a un effet dissuasif sur les investissements de long terme.
Dans le bassin méditerranéen, le défi des investissements de long terme est crucial car il est la base pour assurer la transition économique en maintenant la cohésion sociale. Les attentes des populations sont fortes et, parfois, les Etats du bassin méditerranéen semblent désemparés devant les si nombreuses priorités. Les infrastructures sont, dans certains pays, vieillissantes, dans d’autres, elles sont inadaptées et, parfois même, elles sont inexistantes ou en piteux état. Les réseaux d’assainissement des grandes villes du Sud sont souvent incapables de répondre à l’accroissement démographique, découlant lui-même d’un large exode rural. Six villes de plus de 4 millions d’habitants bordent la mer Méditerranée auxquelles s’ajoutent les mégapoles Istanbul et Le Caire avec respectivement 15 et 12 millions d’habitants. Les centres urbains, au cœur de la transition économique, doivent à la fois répondre aux enjeux de transports, de logement et d’activité économique qui sont les composantes majeures des besoins énergétiques.
Sur les trois bords du bassin méditerranéen, la situation économique est certes très différente mais on retrouve un élément essentiel, l’incapacité des Etats de financer, seuls, les besoins en infrastructures nécessaires à la transition économique et énergétique. La dette publique des pays du bassin méditerranéen en est l’illustration. Sur la rive Nord, aucun Etat, en dehors des pays de l’ex-Yougoslavie, n’est endetté à moins de 100% du PIB,. Sur la rive Sud, tous sont endettés à plus de 50% du PIB. Seule la Turquie a un taux d’endettement inférieur à 30% mais elle est confrontée à une inflation très élevée, plus de 40% par an. La croissance économique pourrait être un relais mais elle reste relativement atone dans les pays du Nord, seule l’Espagne a une croissance supérieure à 2%. Le dynamisme est plus fort sur la rive sud où elle est supérieure à 3% et avoisine souvent les 4-5%.
Pour le dire en une phrase, les besoins des populations et des économies des pays riverains de la Mare Nostrum sont immenses alors que les moyens publics sont limités et doivent adresser au moins 3 défis simultanés : démographique, climatique et sécuritaire. Le défi démographique est paradoxal car il faut répondre à la croissance au sud et au vieillissement au nord. Le défi climatique est transversal et se fait chaque jour plus pressant et plus onéreux. Le défi sécuritaire résulte largement des deux précédents et est lié, pour partie, à une déstabilisation mondiale et, pour une autre partie, à des paramètres propres à la région.
II. Le rôle des institutions financières publiques
L’immense paradoxe de notre région est qu’elle dispose, malgré ce tableau un peu sombre, d’atouts majeurs pour relever ces challenges. En premier lieu, la plupart des pays peuvent s’appuyer sur des institutions financières publiques robustes et originales : les Caisses des Dépôts. Les trois plus anciennes caisses des dépôts du monde sont installées en France, Italie et Maroc, respectivement depuis 1816, 1850 et 1959. En Turquie, la TSKB a été institué en 1950. Plus récemment, de nombreux autres pays se sont dotés de ces investisseurs publics de long terme, il s’agit notamment de la Tunisie, de la Grèce, de la Croatie et de nombreux autres pays. Ces institutions ont en commun de disposer de liquidités, parfois abondantes, et d’être des acteurs contracycliques prêts à se comporter en investisseur avisé et patient. Il s’agit là de critères essentiels pour jouer le rôle de catalyseur dans des périodes de transition où l’on sait que les fluctuations peuvent être importantes. Mais ces institutions disposent d’un atout majeur, en anglais, on dirait des « silver bullets », elles disposent d’un capital de confiance quasi inégalé. Pour ne prendre qu’un seul exemple, dès lors que la présence de la Caisse de Dépôts et de Gestion du Maroc est assurée dans un projet, comme peut l’être celle de ses homologues, les investisseurs privés vont regarder les opportunités d’investissement d’une façon beaucoup plus positive. Les facteurs de risques apparaitront comme plus réduits, le sérieux du projet et ses capacités de rendement bénéficieront d’un a priori positif. Autant d’éléments clés pour attirer les investisseurs et augmenter les chances de succès.
Mais au-delà de ces institutions, chacun est conscient que la transition économique ne pourra aboutir que si elle peut s’appuyer et mobiliser un secteur privé dynamique. Il convient donc de créer les conditions d’une coopération dynamique entre le secteur privé, apte à engager des liquidités importantes avec un retour de rendement suffisant, et un secteur public qui oriente ces investissements vers des secteurs où les externalités positives bénéficient à l’ensemble de la population. Le secteur des infrastructures est l’exemple type du domaine où cette coopération est indispensable et doit reposer sur des complémentarités fortes.
III. L’exemple de STOA
C’est en partant de ce constat que STOA a été créé en 2017 par la Caisse des Dépôts française et l’Agence Française de Développement. Ce fonds d’investissement, s’est doté d’une thèse simple et originale. En investissant, uniquement en fonds propres, comme acteur minoritaire dans des projets rentables d’infrastructures dans les pays du Sud Global, STOA permet que se constitue une dynamique d’agrégation des financements dans des secteurs clés. En s’appuyant sur des acteurs locaux, ayant une connaissance fine des situations, les conditions d’une dynamique positive sont en place pour assurer la réussite des projets.
A partir de ces éléments, STOA a développé une expertise reconnue pour le financement de projets d’infrastructures. En se consacrant de manière prioritaire sur quatre secteurs stratégiques : énergie, transports et logistique, télécommunications et, enfin, infrastructures sociales et environnementales, STOA s’inscrit dans les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies et apporte une réponse aux besoins des populations. Depuis l’origine, STOA a investi dans une vingtaine de projets, en Afrique et en Asie. Ainsi, STOA est devenu un catalyseur reconnu des protagonistes de l’investissement de long terme. En travaillant de concert avec une multitude d’acteurs comme la Banque Mondiale et ses filiales, des Caisses de dépôts nationales, des banques de développement ainsi qu’avec des fonds de private equity, STOA met en pratique l’équation nécessaire au financement des transitions économiques dans les pays du Sud. Doté par ses actionnaires de 900 Millions d’Euros, STOA est déjà engagé à plus de 600 Millions d’Euros, et se transforme en un fonds de gestion pour le compte de tiers. D’ores et déjà, STOA a eu des résultats conséquents. C’est ainsi plus de 2,8 millions de tonnes équivalent CO2 annuel qui ont été évités grâce à ces investissements, 2 200 MW ont été installés, près de 500 000 foyers ont été raccordés à la fibre optique. Ces résultats illustrent l’additionnalité des acteurs dans les trois domaines clés : la mobilisation financière, l’orientation des critères extra-financiers et l’appui au secteur privé.
IV. Conditions d’une réussite durable
Un cercle vertueux se met en place pour permettre la transition économique et énergétique dans le bassin méditerranéen et impulser le financement des infrastructures nécessaires. Cela repose sur trois éléments essentiels : un secteur privé dynamisé, un secteur public capable de prendre des risques pour accompagner les nouveaux acteurs tout en maintenant un environnement légal robuste, et, enfin, des acteurs financiers disponibles, mobilisateurs et agrégateurs de capitaux.
En reprenant ces trois points, on constate que le bassin méditerranéen a engagé une mutation qui va dans le sens d’une réelle dynamique.
Le secteur privé est aujourd’hui à la pointe des mutations économiques. Ainsi au Maroc, les PME ETI représentent plus du tiers du PIB et sont de plus en plus engagées vers des valorisations boursières. La bourse de Casablanca est devenue une référence et permet à la fois de bénéficier d’avantages financiers tout en incitant à la transparence nécessaire pour attirer les capitaux. Mais au-delà des PME, on constate progressivement la montée en puissance d’un secteur privé avec des entreprises locales de taille importante qui sont de réels points d’ancrage dans nombre de pays du bassin méditerranéen. On retrouve, avec évidemment des particularités, ces dynamiques sur la rive nord mais aussi, sous des formes diverses dans des pays comme l’Egypte, la Turquie, la Tunisie et le Maroc.
Le deuxième élément clé tient à la capacité du secteur public à prendre des risques. Précisons de suite que prendre des risques ne veut pas dire multiplier les subventions de fonctionnement ou financer des « éléphants blancs » qui ne verront jamais le jour et qui absorbent des parts majeures des budgets disponibles. Cela signifie qu’une partie des financements publics est orientée vers des projets rentables sur le long terme mais qui ne sont pas nécessairement attractifs pour les acteurs financiers privés traditionnels car leur rendement est trop étalé dans le temps ou que la réglementation bancaire les met hors d’atteinte à coûts raisonnables. Fort heureusement, les Caisses des Dépôts qui reposent sur des modèles différents, et qui ont montré leur capacité de résilience, sont très présentes autour du bassin méditerranéen. A partir des années 2009-2010, de nombreux pays du continent africain, dont la Tunisie, se sont dotés de Caisses des dépôts. Drainant, pour certaines, l’épargne populaire, mobilisant les liquidités de la prévoyance sociale, pour d’autres, ou agrégant d’autres ressources, ces Caisses des Dépôts sont en train de s’imposer comme des acteurs du financement public dans ces pays. Elles sont capables à la fois d’apporter de la sureté, des compétences et une capacité d’identification et d’accompagnement amont des projets.
Enfin, il faut des acteurs financiers venus de divers horizons qui ont l’habitude de travailler ensemble. A cet égard, les banques multilatérales, à commencer par la Banque Européenne d’Investissement ou la BERD, comme les DFI, ou Banques Publiques de Développement, sont des partenaires indispensables pour assurer une construction financière robuste pour les projets d’investissement de long terme. On sait que l’ère du développement par les seules subventions est finie. La mise en place de projets rentables mobilisant à la fois les ressources endogènes des pays mais aussi les banques publiques de développement ainsi que des acteurs financiers privés est indispensable pour qu’une dynamique de projets au service des populations puissent se mettre en place. Cette capacité à trouver le barycentre des intérêts, la compréhension des rationalités politiques, économiques et financières n’est pas un exercice facile et demande souvent un travail d’approche complexe.
On l’a vu, le bassin méditerranéen dispose d’atouts exceptionnels pour réunir tous ces acteurs et encourager cette dynamique que l’on voit à l’œuvre d’ores et déjà dans nombre de pays.