Coopération bancaire Arabo-Africaine:
Perspectives de la BASA
Mme Bongi Kunene,
Directrice Générale, the Banking Association South Africa (BASA)
Dans un contexte où la coopération arabo-africaine se renforce, le secteur bancaire joue un rôle stratégique dans la construction de passerelles économiques et financières durables. L’Afrique du Sud, grâce à la résilience et à l’innovation de son système bancaire, s’impose comme un partenaire clé pour les capitaux et institutions arabes. À travers cette entrevue avec Mme Bongi Kunene, Directrice Générale, the Banking Association South Africa(BASA), nous explorons les opportunités de synergies dans les domaines de l’inclusion financière, de la finance verte et de l’innovation digitale. Une réflexion croisée qui éclaire les perspectives d’un partenariat renforcé au service du développement du continent.
1- The Banking Association South Africa joue un rôle clé dans l’orientation du secteur financier national. Dans quelle mesure le système bancaire sud-africain peut-il, selon vous, devenir un moteur de rapprochement et de partenariats renforcés entre les économies arabes et africaines ?
Reconnu pour sa résilience et son innovation, le secteur bancaire sud-africain s’est imposé comme une référence mondiale. Protégé par une régulation stricte de la South African Reserve Bank (SARB) et de la Financial Sector Conduct Authority (FSCA), il a su traverser les crises internationales sans vaciller, renforçant sa crédibilité auprès des investisseurs.
Avec la Johannesburg Stock Exchange (JSE), la plus grande et la plus liquide bourse du continent, l’Afrique du Sud offre aux capitaux arabes un accès direct à des instruments diversifiés, des actions aux obligations, en passant par les produits verts et liés aux infrastructures. Ses géants bancaires – Standard Bank, Absa, Nedbank – déjà implantés dans 19 marchés africains, mettent à disposition des banques arabes des partenaires solides, dotés d’une couverture régionale étendue et d’une expertise locale éprouvée (Banque mondiale, 2023).
L’Afrique du Sud s’illustre également par son rôle de pionnier dans la mise en œuvre des protocoles financiers de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en harmonisant les systèmes pour faciliter les flux commerciaux et les investissements (Secrétariat de la ZLECAf, 2023). L’ensemble de ces atouts positionne le pays comme un hub de confiance et un partenaire clé pour les banques arabes désireuses d’étendre leur présence à l’échelle du continent.
2- L’accès au financement durable demeure un défi majeur dans de nombreux marchés africains. Quels modèles de financement innovants ou quelles approches collaboratives entre banques sud-africaines et arabes pourraient, selon vous, contribuer à combler les déficits en infrastructures et à favoriser une croissance plus inclusive ?
L’Afrique doit faire face à un déficit annuel de financement des infrastructures estimé entre 130 et 170 milliards de dollars (BAD, 2023). Les partenariats arabo-africains représentent une voie prometteuse pour combler cet écart, en mobilisant des instruments financiers innovants.
La longue expérience de l’Afrique du Sud en matière de partenariats public-privé (PPP) constitue un modèle éprouvé pour la réalisation de projets d’infrastructures.Parallèlement, l’émission locale de sukuk dès 2014 a mis en lumière le potentiel de la finance islamique pour mobiliser des capitaux de développement à grande échelle (Trésor national sud-africain, 2014). L’extension de ces sukuk aux secteurs du logement, du transport et des énergies renouvelables pourrait attirer davantage de capitaux moyen-orientaux vers l’Afrique. En complément, des mécanismes tels que les fonds de garantie de crédit, à l’instar de l’African Guarantee Fund, permettent de réduire les risques liés aux prêts aux PME et au secteur agricole, favorisant ainsi une croissance plus inclusive (OCDE, 2022).
L’Afrique du Sud a également joué un rôle de pionnier dans le domaine de la finance verte. L’émission par la Ville du Cap d’une obligation verte en 2017 a fourni un modèle pour le développement et la mise à l’échelle de produits durables à travers le continent. Des instruments tels que la finance mixte (blended finance), les obligations à impact ou encore les modèles de capital patient déjà utilisés par la Development Bank of Southern Africa (DBSA) contribuent à réduire les risques, attirer des capitaux privés et privilégier des impacts à long terme.

Les perspectives de coopération avec les banques arabes sont nombreuses et incluent notamment:
• Co-investir dans les infrastructures à travers des mécanismes de finance mixte ;
• Harmoniser les pratiques de reporting ESG grâce à des plateformes de durabilité partagées ;
• Renforcer les synergies dans des forums transrégionaux, tels que le Finance in Common Summit (FiCS)
3- La transformation digitale et la fintech redessinent aujourd’hui le paysage bancaire en Afrique. Selon vous, de quelle manière les réseaux bancaires arabes et sud-africains pourraient-ils tirer parti de la technologie pour élargir l’inclusion financière, en particulier dans les communautés rurales et transfrontalières encore peu desservies ?
La finance digitale transforme profondément l’Afrique, et l’Afrique australe s’affirme aujourd’hui comme un véritable hub de la fintech, avec Johannesburg et Le Cap comme pôles d’innovation. Dans ce contexte, les banques arabes et sud-africaines ont une formidable opportunité de collaborer pour renforcer l’inclusion financière, en particulier dans les zones rurales et transfrontalières.
D’abord, la mise en œuvre du Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS) représente une avancée majeure. Ce système, qui permet des règlements en temps réel dans les monnaies locales, réduit la dépendance coûteuse aux banques correspondantes internationales et abaisse significativement les frais de transaction. Cela constitue une étape essentielle pour faciliter le commerce intra-africain et démocratiser l’accès aux services financiers.
Ensuite, le regulatory sandbox sud-africain, développé par la FSCA, illustre bien l’équilibre nécessaire entre innovation et protection des consommateurs. Des hubs d’innovation conjoints entre banques arabes et sud-africaines pourraient ainsi encourager le déploiement de solutions adaptées comme les portefeuilles numériques, la micro-assurance ou encore l’évaluation du crédit par intelligence artificielle.
Un autre levier concerne la réduction des coûts des transferts de fonds, qui restent parmi les plus élevés au monde (en moyenne 8 % de la valeur des transactions, selon la Banque mondiale). L’utilisation de plateformes reposant sur la blockchain et le mobile money transfrontalier permettrait de libérer des milliards de dollars de revenus disponibles, améliorant directement le bien-être des ménages.
Enfin, pour instaurer la confiance, des investissements conjoints en cybersécurité et en protection des données sont indispensables. Sans confiance numérique, les gains de la technologie resteront limités.
En résumé, les principales pistes de collaboration incluent:
• développer des modèles hybrides combinant plateformes digitales et réseaux physiques d’agences,
• lancer des campagnes locales de sensibilisation numérique, en s’appuyant sur des relais communautaires et des contenus multilingues,
• créer des incubateurs fintech conjoints, orientés vers l’inclusion des zones rurales et le financement des PME.
C’est en combinant expertise technologique, coopération institutionnelle et proximité avec les communautés que les banques arabes et sud-africaines pourront véritablement transformer l’inclusion financière en Afrique.
4- Climat et ESG redessinent la finance. Par quels leviers communs banques arabes et africaines peuvent-elles booster la finance verte, les renouvelables et l’adaptation climatique sur le continent ?
L’Afrique, bien que responsable d’une part minime des émissions mondiales, est parmi les régions les plus exposées aux effets du changement climatique. Les besoins pour l’adaptation sont estimés à 277 milliards de dollars par an d’ici 2030 (UNEP FI, 2022). Les banques arabes et sud-africaines ont ici un rôle crucial à jouer, en mobilisant ces capitaux à travers l’alignement des principes ESG avec les objectifs de financement du développement.
La mise en place de la Green Finance Taxonomy en Afrique du Sud (2022) offre un cadre clair pour les investissements durables. Son harmonisation avec les taxonomies arabes permettrait d’établir un langage commun de l’investissement et de libérer davantage de capitaux verts mixtes (National Treasury SA, 2022). De plus, une action coordonnée arabo-africaine sur les plateformes internationales donnerait plus de poids aux priorités régionales en matière de finance durable.
Les opportunités stratégiques concernent notamment l’agriculture intelligente face au climat, les infrastructures d’énergies renouvelables et la résilience des chaînes d’approvisionnement. L’émission de green sukuk, alliant conformité à la charia et durabilité, pourrait attirer à la fois les investisseurs ESG internationaux et les capitaux arabes, ouvrant ainsi un pipeline unique de croissance.
5- En coordonnant logement abordable, agriculture, finance durable et appui aux PME, la BASA a fait du modèle FIPP un levier d’inclusion économique. Quels enseignements pourraient inspirer des initiatives conjointes arabo-africaines pour accélérer l’inclusion financière et le développement durable sur le continent ?
• La division Financial Inclusion and Public Policy (FIPP) de la BASA illustre l’impact de la mutualisation des ressources dans des domaines clés tels que le logement, l’agriculture, les PME et la finance durable. Rien qu’en 2023, les banques sud-africaines ont orienté 337 milliards de rands vers le financement inclusif, incluant des partenariats avec AgriSA, AgBiz et la SASSA pour soutenir les agriculteurs, les agro-industries et l’accès aux aides sociales (BASA, 2023).
• Le Financial Sector Code (FSC) sud-africain offre également un modèle structurant de transformation:
• Accès au financement: plus de 84 % des adultes sont bancarisés ; 45 milliards de rands alloués aux prêts pour le logement abordable et 40 milliards aux PME détenues par des entrepreneurs noirs.
• Financement de l’autonomisation: 337 milliards en 2023, dont 157 milliards pour la croissance des entreprises noires et 26 milliards pour l’agriculture portée par des acteurs noirs.
• Approvisionnement & développement des entreprises: les banques soutiennent les fournisseurs détenus par des entrepreneurs noirs à travers des politiques d’achats préférentiels, des fonds de développement, du mentorat et un meilleur accès au marché.
• Leçons pour les partenariats arabo-africains:
• Fixer des objectifs mesurables en matière d’inclusion et de financement des PME ;
• Construire des écosystèmes robustes pour le développement des entreprises et des fournisseurs;
• Favoriser la coopération public-privé pour changer d’échelle et assurer la durabilité ;
• Mettre en place des codes sectoriels de transformation afin de garantir transparence et responsabilité.
Bibliography
AfCFTA Secretariat. (2023). Financial Integration Protocols.
AfDB. (2023). Infrastructure Financing in Africa.
Afreximbank. (2022). PAPSS Overview.
BASA. (2023). Empowerment Financing Report.
National Treasury SA. (2014). South Africa’s First Sukuk Issuance.
National Treasury SA. (2022). Green Finance Taxonomy.
OECD. (2022). African Guarantee Fund Report.
SARB. (2024). Financial Stability Review.
UNEP FI. (2022). Climate Finance Needs in Africa.
World Bank. (2023). Remittance and Banking Data.

