Entretien avec Dr. Rola Dashti, Secrétaire Exécutive de la Commission économique et sociale pour
l’Asie occidentale (CESAO) – À l’occasion de la Conférence Bancaire Arabe 2024 de l’UBA:
«Les Enjeux du Développement Durable et le Rôle Stratégique des Banques»
La région arabe se trouve confrontée à des défis financiers et économiques majeurs, notamment l’accès limité aux financements, des coûts élevés de capitaux et une dépendance marquée aux entreprises publiques. Dr. Rola Dashti la Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO), partage ses perspectives sur le rôle central que les banques arabes pourraient jouer pour surmonter ces obstacles et atteindre les Objectifs de Développement Durable.
Quels sont les principaux défis que la région arabe doit relever pour combler l’écart de financement du développement durable, et comment les banques régionales peuvent-elles jouer un rôle plus central pour surmonter ces obstacles ?
La région arabe est confrontée à des défis économiques et financiers majeurs qui freinent le financement du développement durable. Cinq grandes lacunes sont identifiées : un espace fiscal restreint dû à des priorités multiples et au poids de la dette, le manque d’investissements privés, l’insolvabilité financière, la non-durabilité du financement en raison de l’inefficacité des dépenses publiques, et l’accès inégal au financement. Ce dernier est exacerbé par le coût élevé du crédit et les défis géopolitiques qui dissuadent les investisseurs internationaux, soulignant les limites d’un système financier international trop souvent inadapté, avec d’importantes fuites financières, une lourde dette et une inadéquation avec les objectifs de durabilité.
Des coûts de capital élevés, un accès limité au crédit et une dépendance excessive aux entreprises publiques entravent la croissance du secteur privé et, par conséquent, réduisent les investissements. De plus, les investissements directs étrangers se concentrent sur des secteurs à forte rentabilité immédiate, limitant ainsi les possibilités de réinvestissement et de transformation structurelle. Les systèmes de financement climatique fragmentés et les mécanismes d’allègement de la dette inefficaces augmentent encore le poids financier pesant sur la région.
Conscient de ces lacunes, l’Union des Banques Arabes s’est engagée, avec l’ESCWA, à devenir un acteur clé du financement durable, avec un objectif de mobiliser un trillion de dollars d’ici 2030. En collaboration avec l’ESCWA, elle s’efforce également d’établir des indicateurs pour mesurer l’impact des objectifs de développement durable (ODD). Un cadre arabe commun pour les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) est indispensable pour harmoniser les définitions de l’investissement durable et éviter les pratiques de greenwashing.
Pour renforcer le rôle des banques arabes, une réévaluation de la gestion des portefeuilles est nécessaire.
Actuellement centrés sur le financement des déficits publics, ces portefeuilles devraient davantage s’orienter vers le soutien au secteur privé, l’investissement dans les infrastructures régionales et l’adoption de stratégies de couverture pour assurer la résilience. La collaboration avec les banques multilatérales de développement en matière de cofinancement et de renforcement des capacités, ainsi que le soutien à l’initiative des Nations Unies pour le financement des ODD, pourraient également mobiliser jusqu’à 500 milliards de dollars par an, nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable à l’échelle mondiale.
Les banques arabes doivent aussi s’engager activement dans les réformes financières internationales proposées par les Nations Unies, contribuant à la refonte du système financier mondial. Une implication dans la déclaration finale de la quatrième conférence internationale sur le financement du développement permettrait de garantir que les perspectives et priorités arabes soient bien représentées.
Selon vous, comment la Conférence bancaire arabe 2024 à Doha a-t-elle renforcé le rôle des banques arabes dans le financement du développement durable ?
La Conférence bancaire arabe 2024 a marqué un tournant majeur dans le financement du développement durable en fournissant une plateforme stratégique pour l’élaboration de solutions de financement adaptées aux besoins des ODD dans la région. Elle a mis en évidence le rôle essentiel que peuvent jouer les banques arabes en tant que catalyseurs de la durabilité, en intégrant les pratiques bancaires durables et en mobilisant des ressources pour une croissance équitable.
L’ESCWA a joué un rôle actif dans les discussions, réaffirmant son soutien à l’Union des banques arabes et aux banques de la région. L’ESCWA a également proposé un programme d’actions en 14 points, parmi lesquelles figurent la création de normes pour suivre l’impact du financement des ODD, la mise en place d’un cadre régional ESG, et l’encouragement aux innovations financières en faveur de l’inclusion financière.
Comment l’ESCWA collabore-t-elle avec les gouvernements et les institutions financières pour promouvoir des solutions de financement durable, et quelles initiatives sont prévues pour renforcer les partenariats public-privé dans ce domaine ?
Au niveau international, l’ESCWA joue un rôle central dans la promotion du financement du développement en alignement avec des cadres mondiaux tels que le Programme d’action d’Addis-Abeba. Représentant la région arabe lors des négociations et forums internationaux, l’ESCWA contribue avec des données et perspectives régionales pour s’assurer que les réformes mondiales répondent aux besoins locaux.
Par exemple, elle participe aux efforts de restructuration du système financier mondial, dans le but de créer un système plus équitable et inclusif, et aux préparations pour la quatrième conférence internationale sur le financement du développement en 2025, afin que les priorités arabes soient intégrées dans les discussions mondiales.
Au niveau régional, l’ESCWA constitue une plateforme pour aborder les défis communs aux pays arabes, en promouvant l’intégration régionale et le développement durable.
Elle facilite les dialogues pour mobiliser les ressources en faveur des ODD, lutte contre les flux financiers illicites, et renforce la stabilité financière. Par exemple, la Commission du financement du développement de l’ESCWA œuvre pour renforcer les résultats financiers dans la région arabe, tout en favorisant l’intégration économique avec des initiatives telles que l’union douanière arabe et le développement de marchés financiers régionaux.