Leila Doukali – Présidente nationale de (AFEM)
Madame Leila Doukali, la Présidente de l’Association des Femmes Chefs d’Entreprises du Maroc (AFEM) et une entrepreneure chevronnée avec une expérience riche dans l’industrie de la mode. Nous explorons son parcours professionnel, son rôle dans la gestion de l’entreprise familiale, Variations, et son engagement en faveur de l’autonomisation des femmes entrepreneures au Maroc.
Parcours professionnel:
- Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel, en particulier de votre expérience dans la gestion du groupe familial et de votre entreprise Variations dans le domaine de la mode?
J’ai eu la chance de faire partie d’une famille ayant le sens du travail, de l’effort et de la prise de risques. Mes 2 parents étaient entrepreneurs et j’ai baigné dans cet esprit de recherche d’accomplissement et d’indépendance économique. Le domaine de la mode et du fashion me fascinait dès mon jeune âge. Lors de mes études à l’étranger les podiums exerçaient en moi une attirance particulière dans mes tendances et choix d’activités…Un choix « naturel » lorsque la décision de me lancer dans « les affaires » s’imposa à moi.
Le secteur du prêt à porter est enrichissant à plus d’un titre.
Il ne me restait plus qu’à aller à la conquête d’une franchise reconnue par son « style » très parisien et ancré dans le mode de vie fashion déjà ancré au Maroc. Un besoin en terme de marché se profilait. Cette marque « me ressemblait », ce qui a facilité mes négociations avec mon franchiseur qui m’a fait confiance.
La marque a, depuis, marqué le retail local.
Voici 20 années de présence et 3 boutiques présentes sur 3 villes au Maroc.
Par ailleurs, la gestion du Patrimoine familial s’est imposée pour moi après le décès de mon père et de ma sœur ainée… Je me suis retrouvée face à des nouvelles responsabilités, que j’ai tenté d’assumer en empruntant une voie de modernisation et de diversification de notre activité dans le secteur agro-alimentaire.
Engagement envers les femmes entrepreneures:
- En tant que présidente nationale de l’Association des femmes chefs d’entreprises du Maroc (AFEM), pouvez-vous partager les principales initiatives et réalisations de l’AFEM depuis que vous en assumez la présidence en 2019?
Je me suis engagée auprès de notre Association, l’AFEM, dès sa création en 2000, et ce, en prenant dès ses premiers pas, la responsabilité de la commission communication…La vie associative m’a beaucoup appris.
J’ai vécu et suivi de très près l’histoire de l’AFEM. C’est tout naturellement que j’ai accepté de la présider après un vote de confiance de nos membres. Le 1er mandat a été semé d’embûches dûes à un précédant management n’ayant pas atteint ses objectifs et bien entendu également la crise sanitaire du Covid qui s’en suivie.
J’ai passé 2 années à relever et à assainir un passif, à redéployer une feuille de route en terme d’actions et de gouvernance autour d’une équipe motivée et militante.
Notre 1ère tâche a été de réfléchir autour d’un plan d’actions destiné à soutenir les femmes très impactées économiquement par la crise sanitaire jamais connue dans notre histoire contemporaine.
Le plan « Amally » proposait d’accueillir les femmes chefs d’entreprises ayant perdu partiellement ou totalement leurs activités… Co-working, accompagnement, conseil, orientation, networking…
Le 2ème mandat se déroule sous le signe de la relance…différents chantiers sont en cours autour d’un concept appelé « She Impulse » : Accélérateur de performance ». Celui-ci regroupe plusieurs axes dont « She Start » qu’est la création d’un incubateur new génération orienté vers l’innovation et les nouveaux métiers « Green Tech »…, She Industrielles, She Digital.
Ces initiatives répondent à un besoin, dont celui d’exploiter le potentiel entrepreneurial des femmes et de saisir les nouvelles opportunités pour une industrie moderne et innovante.
Notre programme « She Impulse » propose un modèle d’accompagnement adapté aux femmes quoi souhaitent développer leur croissance, ou celles visant le défi de créer leur entreprise.
L’objectif étant de favoriser l’innovation en y intégrant le concept des approches en terme de DD, et de même pénétrer les marchés internationaux en élargissant leurs part de CA. Ce plan s’appuie également sur nos représentations régionales, et ce, afin de renforcer leurs capacités dans le cadre de la promotion de la régionalisation avancée au Maroc.
Nous espérons ainsi contribuer à augmenter la part des femmes dans la sphère économique… en terme de valeur ajoutée.
Défis et réussites:
- Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés en tant que femme entrepreneure, et comment les avez-vous surmontés? De même, quelles ont été vos plus grandes réussites dans le domaine des affaires?
Les défis sont nombreux… et s’imposer en tant que femme ayant des ambitions n’est pas un parcours des plus simples. La facilité de se diriger vers le salariat est le choix de la majorité des femmes.
« Le parcours du combattant » est présent à tous les niveaux, et certaines difficultés sont également inhérentes aux femmes comme aux hommes… : L’acte d’entreprendre est synonyme de courage d’audace.
Le financement reste le « nerf de la guerre », puis la confiance des investisseurs, l’accès aux marchés, les pratiques illégales, le manque de visibilité « sectoriels »…, l’accès au foncier, les garanties requises…
Par ailleurs, les femmes en général ne fréquentent pas suffisamment les espaces ou les sphères décisionnelles… largement occupées par les hommes.
Le 1er défi est d’y s’imposer et de nous faire accepter.
Le professionnalisme, la pugnacité et le sérieux donnent des résultats, mais nous ne lâchons pas prise quant à notre combat. Celui-ci est un combat de tous les jours. Celui-ci revêt plusieurs aspects : économiques, sociétaux, culturels…
Notre société patriarcale basée sur la transmission générationnelle d’une éducation conservatrice est encore bien ancrée.
Nous arrivons à surmonter nos difficultés en étant alertes sur la pertinence de nos approches et de notre vision. Nos actions sont justes, impactantes et porteuses de sens : nous les assumons et les portons sur les fronts du dialogue et des débats.
Passion pour la mobilisation:
- Vous manifestez une passion pour la mobilisation en vue de créer des emplois, libérer des opportunités et développer les infrastructures. Comment cette passion influence-t- elle votre approche en tant que présidente de l’AFEM et dans vos autres activités professionnelles?
Mes diverses responsabilités dans le cadre de mes activités restent les mêmes à déployer dans le cadre associatif. Le management sur lequel se base le socle de toute organisation :
- Être à l’écoute des marchés et des tendances afin d’y répondre le mieux armée, en s’appuyant sur le réseau.
- Être proche de ses collaborateurs (ices) et les impliquer dans toutes décisions stratégiques impliquant l’avenir de l’entreprise,
- Donner la chance à tous et à toutes de développer une carrière et de s’épanouir…voire même, déceler en eux une passion afin qu’ils puissent rêver d’une initiative en terme de création d’activité s’ils le souhaitent.
Ma vie associative comme ma vie professionnelle sont étroitement imbriquées.
Mes exigences et les valeurs 1ères sont : la probité, la loyauté, la performance, la confiance, l’engagement…
Rôle de l’éducation:
- En tant que diplômée en gestion et relations internationales de l’Université de la Sorbonne, comment percevez-vous le rôle de l’éducation dans le succès entrepreneurial, en particulier pour les femmes?
Le rôle de l’éducation et de la formation est primordial. Il constitue le capital « mental » de tout individu. Ce capital nous permet d’avancer sur une vision du monde, avec une ouverture, une autre dimension, un autre regard.
« Une femme instruite » aura des armes pour avancer, pour se battre, pour s’imposer d’égal à égal…dans un environnement hostile n’offrant pas beaucoup ou peu d’alternatives sans instruction. Seules quelques success stories arborent des exceptions.
«Apprendre» est un chemin que doit emprunter toute femme ou homme. Nos plans d’actions consacrent une grande part à la formation… Sans laquelle, nul ne peut avancer, ne peut créer, ne peut se développer.
Certes, le succès entrepreneurial qu’ont connu certaines femmes ne sont pas tous basés sur leur cursus, certes, mais néanmoins celui-ci y contribue grandement de nos jours (hormis les transmissions de patrimoine familial).
Genre entrepreneurial:
- Quelles sont les contraintes socio-économiques liées au genre qui affectent les femmes entrepreneures au Maroc ?
Les contraintes socio-économiques liées « au genre » sont connues nous ne cessons de les combattre et de proposer des solutions en adéquation avec les attentes des femmes:
- La difficulté de l’accès au financement et la facilité d’octrois aux crédits liés à la non-confiance accordée aux femmes par les établissements bancaires, le manque d’encouragement de la sphère sociale à pousser les femmes à entreprendre, préférant les reléguer au statut de salarié, notre environnement socio-culturel conservateur qui opte pour la « place » de la femme au foyer décrite comme son « rôle naturel »,
- Le manque d’infrastructures sociales telles que les crèches et les établissements socio-éducatifs de l’aide à l’enfance
- Le manque de modules de formation de base présentant des voies ouvrant vers l’entrepreneuriat et l’initiative…
Conseils pour les jeunes entrepreneures:
- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui aspirent à devenir entrepreneures, en particulier dans des secteurs traditionnellement dominés par les hommes?
Le principal conseil que je peux donner est d’ordre général et émotionnel : ‘Croire en vous » ne jamais se décourager, suivre votre intuition… et bien entendu, réfléchir
longuement à « votre idée » avant de se lancer.
Vous appuyer sur des experts afin de vous guider. Quelques réponses à vos questions autour de « votre idée » s’imposent :
- Quel business, pour quel marché ?
- Quelle concurrence ? veille sur le secteur ciblé.
- Quel besoin ? est-il identifié ?
- Un business plan étudié, accompagné par un professionnel est fortement recommandé.
- La connaissance de l’activité et de ses contours, la maitrise des process.
- Dois-je m’associer ? ou dois-je m’adosser à des prêts ?
Vision pour l’avenir :
- Quelle est votre vision pour l’avenir de l’entrepreneuriat féminin au Maroc, et quel rôle envisagez-vous pour l’AFEM dans la réalisation de cette vision?
L’AFEM, Association pionnière reconnue d’utilité publique, œuvre depuis deux décennies pour faire tomber les barrières et relever le pourcentage des femmes entrepreneures.
Le chemin n’a pas été facile et semé d’embûches… Quelques avancées sont notées mais nous sommes encore loin de nos objectifs. Le chemin est encore long et le combat est rude tant les mentalités sont ancrées. Nous tablons sur une avancée significative sur les prochaines années grâce au digital qui permet de libérer la création de valeur en permettant aux femmes de s’approprier un outil de travail ouvrant sur des nouveaux horizons.
La crise économique a également un rôle tant négatif que positif. Les femmes ont été contraintes de se diriger vers le marché du travail ou la création d’activités poussées par une résilience en terme économique… Nous avons espoir que les nouvelles générations seront au rendez-vous des défis de demain. Notre incubateur est le principal espace d’accueil où nous comptons donner la chance à des jeunes femmes de vivre et de concrétiser leur projet.
Par ailleurs, nous siégeons à différentes instances institutionnelles.
Cette position nous donne la possibilité de faire entendre notre voix et de partager notre vision, telle que la reforme de la moudawana en cours…
Bilan et perspectives:
- En regardant en arrière sur votre carrière jusqu’àprésent,quelestleprincipal enseignementquevous aimeriez partager avec d’autres femmes entrepreneures? Quelles sont vos perspectives pour l’avenir de votre engagement envers le développement des femmes chefs d’entreprises au Maroc?
Le principal enseignement que je souhaite partager avec d’autres femmes entrepreneures :
Soyez patientes, croyez en vous, ne « lâchez » pas prise., les chemins sont tortueux, mais pas infranchissables…
Les portes fermées ne le sont pas réellement, il faut pouvoir les pousser et avec la volonté on y arrive.
Je souhaite à toute femme qui ont en elle ce besoin de s’accomplir et de « se battre » pour leurs convictions et leur désir d’entreprendre de ne pas se décourager.
Il faut croire en elles avec détermination…
Les perspectives sont optimistes, les jalons sont posés …
C’est un marathon d’endurance il a ses secrets pour parvenir à la ligne d’arrivée