Union Africaine – Union Européenne:
Pour un partenariat stratégique, durable et transformateur
Investissement – Capital humain – Financement: leviers d’un nouveau
Partenariat équilibré et mutuellement bénéfique.
M. Abderrahmane Hadef
Consultant international en développement économique
1. Une refondation du partenariat UA–UE
La relation entre l’Union africaine et l’Union européenne traverse une phase charnière, marquée par la nécessité de refonder un partenariat historiquement déséquilibré. Les enjeux du XXIe siècle – transition énergétique, sécurité alimentaire, industrialisation, jeunesse, souveraineté numérique – appellent une coopération plus équilibrée, stratégique et orientée vers les résultats.
Les anciennes logiques d’aide au développement, fondées sur l’assistanat et la dépendance financière, doivent céder la place à une approche de co-investissement, de codéveloppement économique, et de création de chaînes de valeur intégrées.
Dans ce contexte, l’Afrique ne doit pas être perçue comme un réservoir de matières premières, mais comme un continent d’opportunités, de talents, de marchés en croissance et d’innovation. Pour cela, un changement de paradigme est indispensable, tant du côté africain que du côté européen.
2. L’investissement productif comme levier de transformation
Le déficit d’investissement productif reste l’un des principaux freins à l’émergence économique de l’Afrique. En 2023, le continent a attiré environ 52 milliards de dollars d’IDE (Investissements directs étrangers), soit une baisse de 3,5 % par rapport à 2022, selon la CNUCED. Ces flux demeurent concentrés dans quelques pays (Nigéria, Égypte, Afrique du Sud) et dans les secteurs extractifs. Pourtant, l’Afrique représente l’une des zones les plus dynamiques du monde en termes de démographie et d’urbanisation.
L’Union européenne reste l’un des premiers partenaires de l’Afrique, avec un stock d’IDE dépassant les 250 milliards d’euros. Le défi est désormais de réorienter ces investissements vers des secteurs à forte valeur ajoutée : énergies renouvelables, agriculture durable, industrie agroalimentaire, technologies de l’information, pharmaceutique et infrastructures vertes. Le programme Global Gateway, doté de 150 milliards d’euros pour l’Afrique d’ici 2030, vise précisément à soutenir ces transformations.
Outre les bailleurs multilatéraux comme la BEI, la BERD et Proparco, les banques commerciales, européennes et africaines, jouent un rôle décisif. Leur implication dans le financement de projets PPP, le soutien aux PME et l’accompagnement à l’exportation est essentielle. Des banques comme l’Afreximbank, Ecobank, la BERD ou encore la Banque Européenne d’Investissement en collaboration avec des acteurs locaux, soutiennent le financement de projets innovants, souvent via des lignes de crédit vertes ou à impact social. Le renforcement de l’inclusion financière, via le digital notamment, est aussi un levier majeur pour stimuler les investissements locaux.
3. Le défi du financement et de la soutenabilité de la dette
Le financement du développement en Afrique est étroitement lié à la problématique de la dette publique. En 2023, la dette publique moyenne en Afrique subsaharienne a atteint 57 % du PIB, contre 39 % en 2013, avec des charges d’intérêts qui absorbent jusqu’à 20 % des recettes fiscales dans certains pays (FMI, 2024). Ce poids de la dette, combiné aux effets persistants du COVID-19, à l’inflation mondiale et à la hausse des taux, rend les marges budgétaires extrêmement limitées.
Face à cela, plusieurs pistes se dessinent:
- Des initiatives de restructuration de dette ou de dette contre investissements/climat, comme l’a mis en œuvre la Zambie en 2023.
- La mobilisation des ressources intérieures: la fraude fiscale et les flux financiers illicites coûtent près de 90 milliards de dollars par an à l’Afrique (CEA-ONU).
- Le développement des marchés financiers africains, dont le potentiel est encore sous-exploité. En 2022, les obligations vertes émises par des entités africaines n’ont représenté que 0,3 % du total mondial.
Le rôle des banques commerciales est ici encore crucial. Elles peuvent canaliser l’épargne locale vers des investissements productifs, notamment via les marchés de capitaux. Elles peuvent aussi participer à des mécanismes innovants de financement blended ou de garanties de crédit pour le secteur privé. Des modèle de financement adaptés doivent aussi voir le jour selon les spécificités et les réalités du continent africain où il est constaté un grand essor de la microfinance et de la finance numérique.
L’Union européenne, en collaboration avec l’Union africaine, la Banque africaine de développement, Afreximbank et d’autres partenaires, peut appuyer la mise en œuvre de solutions de financement hybrides, plus adaptées aux contextes africains, tout en promouvant une gouvernance financière mondiale plus équitable. Aussi, Il faut évoquer le besoin et même l’impératif de concevoir un modèle de notation crédit et évaluation des risques adapté aux besoins du développement en Afrique et surtout avec des critères plus souples et des conditions moins contraignantes.
4. Le partenariat Algérie–UE: un pont stratégique de coopération durable à valoriser
Dans cette perspective continentale, l’Algérie et l’Union européenne construisent un partenariat stratégique en pleine mutation, qui peut servir de modèle pilote pour les futurs partenariats UA–UE.
Au-delà de la modernisation de l’accord d’association, le projet Sustainable Investment Partnership (SIP), lancé en 2023, incarne une nouvelle méthode de coopération structurée, ciblée et orientée résultats.
Porté par la Délégation de l’UE, le Ministère algérien des Affaires étrangères, l’Agence de promotion de l’investissement (AAPI) et mis en œuvre par le cabinet GINGER-SOFRECO, le projet SIP vise à renforcer l’attractivité de l’Algérie pour les investissements durables en favorisant un dialogue stratégique et en structurant des projets à haute valeur ajoutée.
Ses réalisations majeures:
– La création d’un groupe d’experts UE–Algérie pour analyser les conditions d’investissement, les chaînes de valeur, les secteurs prioritaires et les instruments de financement.
– L’organisation de missions de promotion dans 14 pays européens, permettant de connecter investisseurs européens et écosystèmes algériens.
– L’identification de filières stratégiques telles que l’hydrogène vert, les énergies renouvelables, l’agro-industrie, la pharmacie, le numérique et l’électronique.
– L’intégration de la logique des chaînes de valeur régionales, alignée sur la stratégie du Net Zero Industry Act européen.
Cette approche, fondée sur la co-construction, la transparence et le partenariat public-privé, peut être élargie à d’autres pays africains pour bâtir des coopérations tripartites (UA–UE–pays partenaires) autour de projets transformateurs et intégrés.
L’Algérie, de par sa position géostratégique et son expérience dans cette coopération avancée, pourrait jouer le rôle de hub régional pour les partenariats UA–UE, dans une logique de codéveloppement ancrée dans la souveraineté économique.
5. Conclusion : Pour un nouvel agenda économique UA–UE
L’heure est venue de dépasser les logiques classiques de partenariat entre l’Union africaine et l’Union européenne. Le contexte mondial actuel – marqué par la multipolarité, l’urgence climatique, les ruptures technologiques et la pression démographique – exige une refondation profonde de la relation entre les deux continents. Un nouvel agenda doit être structuré autour de trois piliers fondamentaux :
1.L’investissement durable, comme moteur de l’industrialisation, de l’emploi et de la transformation des économies africaines, en mettant l’accent sur les chaînes de valeur régionales, l’industrialisation verte et la souveraineté énergétique.
2.Le capital humain, comme fondement de la souveraineté technologique, de la compétitivité et de l’innovation. Il s’agit de renforcer massivement la formation professionnelle, la recherche appliquée, l’entrepreneuriat des jeunes et l’inclusion numérique pour créer une nouvelle génération d’acteurs économiques panafricains.
3. Le financement équitable, comme condition de la stabilité macroéconomique et de la soutenabilité de la croissance. Cela implique un accès accru aux financements concessionnels, l’utilisation stratégique des garanties et financements mixtes, la lutte contre les flux illicites et l’adaptation des mécanismes financiers aux réalités africaines.
Des initiatives comme le projet SIP entre l’Algérie et l’UE montrent la voie : une coopération pragmatique, structurée, centrée sur les priorités du pays partenaire, et orientée vers des résultats mesurables. Cette dynamique pourrait être démultipliée à l’échelle continentale à travers des partenariats tripartites (UA–UE–pays membre), des zones industrielles conjointes, ou encore des fonds d’investissement africano-européens dédiés aux projets d’impact.
À l’horizon 2030–2040, plusieurs perspectives stratégiques s’ouvrent pour une coopération renforcée :
- L’Afrique, avec une population de 1,5 milliard d’habitants d’ici 2030, sera un moteur incontournable de la demande mondiale.
- La montée en puissance de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) offre un levier pour des investissements européens à l’échelle régionale.
- Le développement des corridors verts, numériques et logistiques peut transformer les chaînes de valeur communes dans les domaines du climat, de l’agro-industrie et des technologies propres.
- Enfin, la codiplomatie UA–UE sur des enjeux globaux comme la gouvernance des données, l’intelligence artificielle, la réforme des institutions financières internationales ou la sécurité alimentaire peut positionner les deux continents comme moteurs d’un multilatéralisme rénové.
L’Afrique, considérée comme l’un des principaux foyers de croissance et d’innovation du XXIe siècle, est en droit de réclamer des partenariats concrets, équitables et transformateurs. L’Union européenne, en se positionnant comme un partenaire stratégique et solidaire, a une opportunité historique : bâtir avec l’Afrique un avenir commun fondé sur la coresponsabilité, la résilience et la prospérité partagée.