Investir dans le durable:
une opportunité pour la région MENA
M. Grammenos Mastrojeni
Diplomate-Secrétaire général adjoint, l’Union pour la Méditerranée (UpM)
Et si durabilité et rentabilité allaient de pair? Dans un contexte méditerranéen marqué par les inégalités, les crises climatiques et les défis géopolitiques, une nouvelle dynamique émerge. La coopération régionale autour de l’énergie, de l’alimentation et de l’intégration économique pourrait bien devenir le levier d’un développement commun, durable… et profitable.
DURABLE ? UNE BONNE AFFAIRE !
Non, investisseurs, vous n’avez pas à avoir peur : contrairement aux idées reçues, les objectifs financiers et la préservation des biens communs convergent. Mieux encore : loin d’être incompatibles, ces deux dimensions se renforcent mutuellement. Un exemple frappant ? La région MENA.
Le bassin méditerranéen fait face à des besoins de plus en plus pressants. Hautement asymétrique – entre richesse et pauvreté, entre croissance démographique au Sud et vieillissement au Nord – il est aussi marqué par une instabilité récurrente, voire endémique. À cela s’ajoute un défi existentiel : les effets du changement climatique, qui s’amplifient à un rythme alarmant. Même les pays du Golfe sont concernés, certains scénarios crédibles anticipant des températures bientôt incompatibles avec la physiologie humaine durant les saisons les plus chaudes.
À première vue, et selon nos approches classiques, on redoute le coût colossal de l’adaptation : des investissements massifs à la charge des contribuables, au détriment de la compétitivité. Mais est-ce bien le cas ? Justement parce qu’elle est asymétrique, la région recèle de synergies naturelles. Aucun pays, même le plus riche, ne dispose seul des moyens nécessaires pour affronter une crise d’une telle ampleur. En revanche, si chacun accepte de mettre en commun ses différences – même celles qui ont nourri les conflits – nous pourrions bâtir ensemble un panier élargi de solutions. Prenons deux exemples emblématiques : l’énergie et la sécurité alimentaire.
Sur le plan énergétique, le Nord doit décarboner rapidement, mais cela est quantitativement impossible sans recourir au potentiel solaire du Sud et aux vents des Balkans. Le Golfe, quant à lui, doit diversifier son économie encore trop dépendante des hydrocarbures. N’y a-t-il pas là une opportunité commune ? Même logique pour l’alimentation : dans quelques années, l’Europe méridionale connaîtra un climat inédit pour elle, mais familier pour les pays du Sud, qui en ont acquis la maîtrise au fil des millénaires. Le Nord a besoin de leur savoir-faire, de leur patrimoine phytogénétique ; le Sud, lui, a besoin de marchés plus vastes, de technologies et de processus adaptés. Encore une fois, n’est-ce pas une opportunité plus qu’une menace ?
Les défis à venir nous obligent à penser une vaste intégration régionale. Parce que nous avons besoin les uns des autres. Non seulement pour faire face aux crises – climatiques et autres – mais aussi, peut-être, pour résoudre le problème structurel de notre région : l’absence de paix. Terre de grandes civilisations, le bassin MENA n’a jamais vraiment été celle de la fraternité. Et au fond, ce sont les inégalités de revenus et d’opportunités qui en sont la cause.
Mais imaginons un espace MENA où les systèmes énergétiques, alimentaires, hydriques et industriels sont interconnectés. Nous partagerions plus de ressources pour nous adapter, nous favoriserions des modèles économiques durables, capables de relancer la croissance. Et surtout, les bénéfices macroéconomiques – merci le multiplicateur keynésien ! – pourraient rééquilibrer les écarts de richesse, amorçant ainsi une convergence démographique. Et si, en affrontant la crise climatique, nous éradiquions les racines mêmes des conflits ? La stabilité, faut-il le rappeler, est aussi un puissant levier de compétitivité.
Non, investisseurs, vous n’avez vraiment pas à avoir peur.