Qui dirigera l’économie mondiale
dans les trente prochaines années?
Mazen Hammoud
Analyste économique et financier / Paris
Il est aujourd’hui certain que les États-Unis demeurent la locomotive de l’économie mondiale. Mais cette locomotive avance sur des rails semés de risques, de surprises et de crises. Son rythme est inégal : parfois rapide, parfois ralenti, parfois même à l’arrêt. L’économie américaine enregistre depuis des années un produit national brut élevé, ayant dépassé les 27 000 milliards de dollars en 2023. Son seul véritable concurrent, capable de représenter une menace crédible, est la Chine, dont le PIB a frôlé les 20 000 milliards de dollars la même année – avec une différence de fond entre les deux modèles : l’un capitaliste, l’autre d’inspiration communiste.
Si cette bipolarité sino-américaine s’impose aujourd’hui dans les faits, elle est loin d’être figée. D’autres acteurs pourraient bientôt entrer dans la course au leadership économique mondial. L’Europe bien sûr, certaines puissances asiatiques émergentes, ou encore les pays du groupe BRICS, parmi lesquels l’Inde, figurent parmi les prétendants sérieux.
Car la domination économique ne repose pas uniquement sur les performances économiques. Elle dépend aussi – et surtout – de l’influence géopolitique. À ce titre, la Chine ne dispose pas encore de tous les leviers nécessaires pour rivaliser avec les États-Unis, qui conservent un avantage stratégique majeur : le dollar, monnaie de référence pour le commerce mondial, le pétrole et l’or.
La Chine n’est pas moins ambitieuse que les États-Unis. Elle avance lentement, mais avec assurance, sur la voie du leadership mondial, même si elle ne semble pas encore prête, dans les prochaines années, à prendre les commandes de l’économie mondiale en termes de croissance et de puissance globale.Tout dépendra de sa capacité à surmonter une crise immobilière majeure, qui pèse lourdement sur son marché intérieur. Plusieurs grands promoteurs sont aujourd’hui incapables de rembourser des dettes s’élevant à plusieurs centaines de milliards de dollars. Ce choc intervient dans un contexte de transition économique amorcée après 2010, lorsque Pékin a décidé de rompre avec son modèle d’économie tournée vers l’exportation pour miser sur la consommation intérieure. Un changement stratégique risqué, qui n’a pas pris en compte la stagnation du pouvoir d’achat des ménages, pourtant déterminant pour la dynamique de consommation — et donc pour la croissance. Résultat : le taux de croissance, autrefois à deux chiffres, est retombé sous la barre des 10 %.À cela s’ajoutent d’autres défis structurels, notamment le vieillissement accéléré de la population et la diminution de la main-d’œuvre active, qui affectent directement la productivité économique.Mais ce constat ne signifie pas que la Chine a renoncé à ses ambitions. Bien au contraire. Fidèle à sa stratégie silencieuse mais déterminée, Pékin continue d’avancer ses pions. Ce modèle discret, mais redoutablement efficace, lui a déjà permis de dépasser le Royaume-Uni de justesse en 2006, devenant ainsi la quatrième économie mondiale, avant de doubler l’Allemagne, puis le Japon, pour se positionner solidement à la deuxième place, juste derrière les États-Unis.
En 2010, l’économie chinoise a dépassé successivement l’Allemagne puis le Japon, s’imposant comme la deuxième puissance économique mondiale. Depuis cette date, avec des taux de croissance dépassant régulièrement les 10 %, la Chine est devenue un véritable sujet d’inquiétude pour les États-Unis.Mais les choses sont loin d’être aussi simples, et la question ne se limite pas aux seuls chiffres de croissance. Une progression de plus de 5 % ne signifie pas nécessairement que la Chine a supplanté les États-Unis. En réalité, la domination économique mondiale ne repose ni sur la seule structure de l’économie ni sur son environnement, mais sur la maîtrise des leviers fondamentaux de l’ordre économique global.Or, les États-Unis conservent un avantage stratégique majeur : le dollar, qui reste la principale monnaie d’échange pour le commerce international, le pétrole et l’or ; la première infrastructure bancaire au monde ; et les plus grandes places boursières de la planète, qui dictent encore aujourd’hui le rythme de l’économie mondiale.Cela dit, un ralentissement de l’économie chinoise aurait des répercussions considérables à l’échelle internationale. Une baisse du tourisme chinois ou des importations pèserait lourdement sur de nombreux marchés, car la Chine est l’un des principaux acheteurs de matières premières au monde. Elle occupe par ailleurs une place centrale dans les dynamiques géopolitiques actuelles, ce qui renforce l’impact global de sa trajectoire économique.
Et si le spectre d’un affrontement entre les deux puissances militaires que sont les États-Unis et la Chine demeure présent, l’étroite interdépendance économique entre ces deux géants rend un tel scénario hautement improbable. Un conflit direct ne servirait les intérêts d’aucun des deux pays.
D’autant plus que notre monde est aujourd’hui en mutation rapide et constante. Ce ne sont plus les calculs économiques traditionnels qui tracent la trajectoire des économies, mais bien la vitesse des transformations qui détermine le cours des choses et façonne l’avenir. La révolution numérique et les avancées technologiques ont profondément bouleversé les équilibres établis. L’intelligence artificielle, en particulier, est désormais en mesure de renverser tous les modèles classiques. Elle s’impose comme un acteur stratégique, au point de devenir le conseiller attitré des plus hautes sphères de décision à travers le monde.
Les droits de douane américains et la menace sur la carte économique mondiale
Au début de son second mandat, le président américain Donald Trump a voulu redéfinir les règles du commerce mondial avec son pays. Partant du principe que les balances commerciales des États-Unis affichaient un déficit chronique avec la plupart de leurs partenaires – notamment la Chine et l’Europe — il a décidé d’imposer une hausse généralisée des droits de douane, n’épargnant même pas les grandes puissances économiques.
La Chine a été particulièrement ciblée, avec des droits américains atteignant 145 %, auxquels Pékin a répliqué par des taxes équivalentes à 125 % sur les produits américains. Ce bras de fer s’est temporairement apaisé grâce à un accord transitoire de trois mois conclu entre les deux pays, valable jusqu’à la mi-août 2025. Les deux parties ont convenu d’un allègement partiel des droits, ramenés à 30 % côté américain et 10 % côté chinois, afin de rééquilibrer, dans une certaine mesure, leur balance commerciale bilatérale.
Avant même cet accord avec Pékin, Washington avait scellé un compromis similaire avec l’Union européenne, également pour une période de trois mois — jusqu’en juillet 2025. Cet intervalle doit permettre de parvenir à un accord plus durable, visant à réduire l’excédent commercial européen et à rétablir un certain équilibre dans les échanges transatlantiques.
Donald Trump entend également ouvrir des négociations avec la majorité des autres partenaires commerciaux des États-Unis. Il a notamment conclu un accord qualifié d’historique avec le Royaume-Uni — considéré comme la première percée majeure dans une guerre des tarifs douaniers qui a fortement secoué l’économie mondiale.
Il ne fait aucun doute que la tension liée aux droits de douane s’est atténuée grâce aux accords provisoires et aux rounds de négociation successifs. Pourtant, sans ces compromis, le libre-échange aurait pu être profondément remis en question, au point de faire reculer la mondialisation à ses premières étapes. Dans un tel scénario, toute tentative de répondre à la question « Qui dirigera l’économie mondiale dans les prochaines années? » deviendrait d’autant plus complexe, tant le paysage économique serait bouleversé.
Dans sa quête de puissance économique mondiale, la Chine ne cherche pas à imposer une idéologie communiste. Elle privilégie plutôt une stratégie d’insertion subtile au sein de l’ordre économique mondial, consolidant pas à pas sa présence et son influence.
Dès 2020, Pékin a tenté d’affirmer sa position au sein des grandes instances internationales, en particulier à l’ONU. Ce mouvement a été perçu par plusieurs États membres comme une volonté chinoise de dominer l’Asie et d’y imposer son influence, notamment face à des poids lourds comme l’Inde, l’Indonésie ou le Pakistan.
Aujourd’hui, de nombreux analystes estiment que la Chine vise un objectif clair : devenir la première puissance économique mondiale à l’horizon 2049, à l’occasion du centenaire de l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong.
Il ne faut pas sous-estimer non plus l’impact qu’ont eu les droits de douane imposés par Donald Trump. Ces mesures ont poussé plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis à reconsidérer leurs alliances, dans un contexte où Pékin intensifie ses relations avec l’Union européenne. Une stratégie de séduction qui, selon certains observateurs, pourrait permettre à l’Europe — si elle parvient à résoudre ses problèmes d’endettement et de déséquilibres budgétaires — de jouer elle aussi un rôle de premier plan dans l’économie mondiale.
De son côté, Washington est pleinement consciente des ambitions de la Chine. Les États-Unis ont réagi en renforçant leurs alliances stratégiques, notamment avec l’Inde, l’Australie, le Japon et le Royaume-Uni, dans le but évident de contenir l’expansion chinoise. Une démarche préventive, qui vise aussi à limiter les velléités d’autres puissances émergentes cherchant à gravir les échelons de la hiérarchie économique mondiale.
Classement des dix plus grandes économies mondiales à l’horizon 2024
Dans cette étude, nous mettons en lumière les principaux critères ayant servi à établir ce classement, en tête desquels figure le produit intérieur brut (PIB), indicateur clé de la performance économique.
- 10e – Canada
L’économie canadienne se classe en dixième position. Elle repose en grande partie sur l’exploitation des ressources naturelles, notamment le gaz, le pétrole, les minerais et les forêts. À cela s’ajoute un secteur des services dynamique, axé sur les technologies et les industries artisanales. Ces composantes permettent au Canada d’afficher une croissance du PIB estimée à 1,2 % en 2024, consolidant ainsi sa position parmi les grandes puissances économiques.
- 9e – Brésil
Neuvième au classement, le Brésil s’affirme comme une puissance émergente au sein du groupe des BRICS. Son économie est diversifiée, dominée par l’agriculture, l’exploitation minière et les industries artisanales. Le pays est considéré comme l’un des principaux pôles agricoles de la planète. Le moteur principal de son économie reste cependant la consommation intérieure, appuyée par des progrès en matière d’infrastructures. En 2024, son PIB a progressé de 2,2 %, réparti entre les services (70 %), l’industrie (20 %) et l’agriculture (10 %).
- 8e – Italie
L’Italie occupe la huitième place mondiale et la troisième au sein de la zone euro. Elle dispose d’un marché financier développé, d’un secteur des services de haut niveau et d’une industrie touristique qui rivalise avec celle de la France. L’Italie est également réputée pour la compétitivité de ses industries agroalimentaires à l’échelle européenne et internationale. Malgré ces atouts, elle n’a enregistré qu’un taux de croissance modeste de 0,7 % en 2024, en raison d’une dette publique élevée et d’un déséquilibre budgétaire persistant.
7e – France
L’économie française se classe au septième rang mondial et occupe la deuxième place au sein de la zone euro. En 2024, le produit intérieur brut de la France a dépassé les 3 000 milliards d’euros, avec un taux de croissance modeste de 0,7 %. L’un des atouts majeurs de l’économie française réside dans sa diversification. Le pays se distingue par la performance de son industrie, notamment dans les secteurs aéronautique et spatial (avions, fusées, satellites), ainsi que par son rayonnement international en matière de tourisme et de produits de luxe. La France bénéficie également d’un système de protection sociale robuste, d’infrastructures modernes et d’investissements constants en recherche et développement.
- 6e – Royaume-Uni
À la sixième position mondiale figure le Royaume-Uni, qui a officiellement quitté l’Union européenne. Son économie repose sur un équilibre entre services, industries artisanales et un secteur financier stratégique, tant à l’échelle européenne que mondiale. Londres conserve son statut de place financière majeure, connectée aux marchés internationaux, et continue d’attirer les investissements étrangers. Le commerce extérieur reste soutenu par des partenariats dynamiques avec les pays voisins, ainsi qu’un réseau logistique dense. En 2024, la croissance économique britannique a atteint 0,5 %, un taux timide comparable à celui de la France et de l’Italie. Comme nombre d’économies occidentales, le pays continue de ressentir les effets des crises successives, notamment celle du Covid-19, qui a paralysé la planète à partir de 2019. Néanmoins, certains pays ont su faire preuve d’une résilience plus marquée face aux turbulences.
5e – Inde
L’Inde occupe en 2024 la cinquième place au classement des plus grandes économies mondiales. Membre du groupe des BRICS, son économie se distingue par sa diversité et son rythme de croissance soutenu. Les secteurs clés incluent les technologies de l’information — avec New Delhi en tête des capitales mondiales du numérique — ainsi que les services, l’agriculture et l’industrie artisanale. L’économie indienne repose en grande partie sur son vaste marché intérieur, soutenu par une main-d’œuvre jeune, qualifiée et compétitive, notamment dans le domaine technologique. À cela s’ajoute une classe moyenne en pleine expansion, moteur essentiel de la demande locale. Autant de facteurs qui ont permis à l’Inde d’enregistrer une croissance impressionnante de 6,8 % en 2024, dépassant celle des deux premières puissances économiques mondiales. Un chiffre qui illustre bien que le PIB, à lui seul, ne suffit pas à définir le leadership économique futur.
- 4e – Japon
Ancienne dauphine des États-Unis pendant près de quinze ans, l’économie japonaise occupe désormais la quatrième place. Son dynamisme repose principalement sur la technologie, les services et les industries de pointe. L’électronique et l’automobile restent les secteurs les plus compétitifs, tandis que la Bourse de Tokyo continue de jouer un rôle central dans la finance mondiale. Le Japon bénéficie également d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et de technologies avancées dans la banque, la finance et les échanges commerciaux de produits à forte valeur ajoutée. En dépit de ces atouts, la croissance nippone est restée modérée, atteignant 0,9 % en 2024.
- 3e – Allemagne
Leader économique de la zone euro, l’Allemagne accède à la troisième place mondiale en 2024, devant le Japon. Sa croissance, cependant, reste extrêmement faible, limitée à 0,2 %. Ce rang s’explique par la puissance industrielle du pays : exportations, ingénierie de précision, construction automobile, chimie, et pharmacie figurent parmi ses piliers. L’économie allemande est reconnue pour la qualité de sa production, l’efficacité de sa main-d’œuvre, et son investissement continu dans la recherche et le développement, vecteurs d’innovation à l’échelle européenne.
- 2e – Chine
L’économie chinoise, toujours en seconde position mondiale, continue d’incarner la principale menace stratégique pour les États-Unis. Longtemps portée par les exportations, l’industrie et l’investissement, la Chine a progressivement misé sur le secteur immobilier — gratte-ciels d’habitation et sièges de multinationales — mais ce virage s’est soldé par une profonde crise. Le secteur immobilier chinois souffre aujourd’hui d’un surendettement massif, estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars, fragilisant l’ensemble de l’économie nationale. Ce climat d’incertitude contraste avec la vigueur de ses autres atouts : main-d’œuvre jeune, abondante et peu coûteuse, capacité industrielle exceptionnelle, marchés financiers en expansion, soutien étatique aux secteurs stratégiques, infrastructures solides et marché intérieur prometteur — bien que ce dernier reste moins déterminant que le commerce extérieur. En 2024, la Chine a enregistré une croissance de 5 %, confirmant sa résilience malgré les turbulences.
- 1re – États-Unis
En première position, comme depuis plusieurs décennies, figure l’économie américaine – toujours incontestée. Elle représente non seulement la plus grande puissance économique mondiale, mais également un centre d’influence politique global, qui confère au dollar le statut d’indicateur principal pour de nombreuses économies, quelles que soient leurs structures ou leurs secteurs d’activité.
L’économie des États-Unis se distingue par sa remarquable diversité. Elle repose principalement sur les services, l’industrie, la finance et la technologie. Le pays bénéficie également d’un marché intérieur extrêmement dynamique, d’un écosystème d’innovation florissant, soutenu par des entreprises de pointe et des infrastructures robustes. À cela s’ajoutent des budgets publics conséquents qui renforcent sa compétitivité et consolident sa position de leader sur la scène économique mondiale.
Les États-Unis profitent également d’une grande liberté commerciale et d’une capacité à imposer des conditions préférentielles dans leurs échanges. Cette dynamique pourrait encore s’accentuer si le président Donald Trump, lors de son second mandat, parvient à conclure de nouveaux accords commerciaux avec ses partenaires, après les avoir contraints à la table des négociations via l’instauration de droits de douane supplémentaires sur leurs exportations.
Grâce à cette stratégie et à la solidité de ses fondamentaux, l’économie américaine a enregistré en 2024 une croissance globale de 2,8 %, confirmant une fois de plus son statut de référence mondiale.