La Crise Libanaise:
Défis Économiques et Perspectives de Reprise
Par le Professeur Fouad Zmokhol
Président de l’Union Internationale des Entrepreneurs Libanais (MIDEL)
Doyen de la Faculté de Gestion à l’Université Saint-Joseph (USJ)
Dans cet article, Professeur Fouad Zmokhol, dresse un portrait saisissant de la crise économique libanaise. Il analyse les défis sans précédent auxquels le pays est confronté, notamment le passage à une économie de cash et ses conséquences néfastes sur le tissu économique et social.
Avec une approche visionnaire, Professeur Zmokhol ne se limite pas au constat des difficultés. Il propose une feuille de route ambitieuse et pragmatique pour la reprise, fondée sur les principes de développement, d’innovation et de coopération. En explorant des concepts tels que l’économie de paix et le développement durable, il invite les Libanais à transformer la crise actuelle en une opportunité de renouveau et de prospérité durable.
Il est indéniable que le Liban est passé d’une économie bancaire internationale, rigoureusement surveillée à l’échelle locale, régionale et mondiale, à une économie dominée par le cash, considérée comme l’une des plus risquées au monde. Ce type d’économie attire inévitablement les trafiquants, les promoteurs illégaux et les blanchisseurs d’argent, tout en décourageant les investisseurs, les entrepreneurs et les innovateurs. Cette transition alimente l’économie informelle et affaiblit l’économie transparente et structurée.
Après des années d’avertissements et de recommandations internationales concernant les risques associés à une économie libanaise largement basée sur l’usage du cash, la crainte de voir le Liban figurer sur « la liste grise de lutte contre le blanchiment d’argent » est désormais devenue une réalité. Cette décision a été officiellement entérinée par le Groupe d’Action Financière Internationale (GAFI) lors de ses dernières réunions à Paris.
Parmi les premières conséquences négatives de cette inscription figure le retrait des dernières banques correspondantes et l’arrêt de leur collaboration avec les banques libanaises.
Cela conduira inévitablement à l’isolement du Liban du système financier et monétaire international.
Même si certaines institutions continuent de traiter avec le Liban, les transferts d’argent vers ou depuis le pays, y compris pour des transactions commerciales, deviendront extrêmement complexes. Chaque opération de transfert, quelle qu’en soit l’origine, sera soumise à des contrôles rigoureux et à une surveillance stricte à l’étranger, entraînant des coûts supplémentaires et des délais d’exécution considérables.
Nous rappelons qu’en 2019, lorsque la crise a éclaté au Liban, elle a été qualifiée par l’Observatoire de la Banque mondiale comme la plus grave crise financière et monétaire de l’histoire mondiale, sans précédent. Elle a également été décrite comme une « crise intentionnelle ». Dans les premiers instants du choc, chacun nourrissait l’espoir de récupérer ses dépôts. Cependant, les tempêtes se sont intensifiées et, lorsque l’horizon a commencé à se dégager, les citoyens ont découvert avec amertume que leurs fonds avaient été dilapidés et gaspillés par l’État libanais. Ils ne pourront, au mieux, récupérer qu’une infime fraction de leurs économies sur le long terme.
Par ailleurs, le Liban reste une scène où se jouent les guerres des autres, attirant sur son territoire les conflits régionaux et internationaux. Bien que les colombes de la paix semblent absentes à l’horizon et que leur retour à court terme paraisse incertain, il est crucial de ne pas succomber au désespoir ni à l’autocritique excessive. Il faut résister à la tentation de glisser vers une économie de guerre et s’engager, main dans la main, à bâtir une économie fondée sur la paix et le développement.
Dans le cadre des perspectives de relance, une économie de paix repose sur le développement, la croissance, l’entrepreneuriat et l’innovation. La paix par le développement peut être résumée par une stratégie fondée sur le développement, le progrès et l’évolution, l’adaptation et la diversification, la coopération, la synergie, l’interconnexion, ainsi que le développement durable.
1- La paix par le développement: Le développement commence par l’épanouissement des individus, des enfants, des étudiants et de la jeune génération, qui seront les architectes de l’économie, des entreprises et du pays. Notre responsabilité aujourd’hui est de former et d’accompagner nos jeunes pour qu’ils évitent de répéter les erreurs du passé, tout en valorisant leurs idées innovantes, créatives et originales. Ils doivent devenir le moteur principal de la relance économique. Le fondement de la paix repose sur le développement et l’entrepreneuriat, éloignés des conflits et de la destruction.
2- La paix par le progrès, l’évolution et l’adaptation: Les entrepreneurs libanais sont réputés à travers le monde, non pas uniquement pour leur intelligence ou leur richesse, mais pour leur véritable force, qui réside dans leur capacité exceptionnelle à s’adapter rapidement face aux crises et à déceler des opportunités cachées sous les décombres et les braises. Le progrès et l’évolution ne se manifestent pas seulement sous un ciel dégagé, mais prennent tout leur sens au cœur des crises et des tempêtes. Ici, la paix ne se limite pas à l’absence de conflit : elle incarne le refus de la résignation, l’engagement à avancer, et la quête d’un développement constant et durable.
3- La paix par la diversification: La diversification constitue le socle de notre savoir, de nos entreprises, de notre économie et de notre nation. Elle trouve ses racines dans la richesse de nos religions, de nos confessions et de nos croyances, ainsi que dans le respect mutuel. Mais elle va bien au-delà : elle embrasse la pluralité des idées, la diversité des biens, l’étendue des connaissances et la richesse des expériences. La diversification est notre atout le plus précieux pour affronter les défis et favoriser une renaissance rapide et durable.
4- La paix par la collaboration et la synergie: La synergie transcende les lois mathématiques et prouve avec éclat que 1 + 1 peut être bien supérieur à 2, infiniment plus, lorsque nous mettons en œuvre une collaboration efficace et une synergie productive. Imaginez la puissance qu’auraient plus de 5 millions de Libanais unis par la synergie et la coopération : leur force surpasserait celle de centaines de millions. À l’inverse, imaginez ce qui arriverait s’ils se divisaient, se fragmentaient et s’opposaient : leur puissance s’effondrerait, réduite à celle d’une poignée d’individus. Sans collaboration ni synergie, il ne reste qu’une issue : l’autodestruction.
5- La paix par l’interconnexion: Nous proclamons avec fierté que notre véritable force réside dans les Libanais expatriés, dispersés aux quatre coins du globe, un réseau de 15 millions de personnes d’origine libanaise. Pourtant, cette richesse humaine, bien que source de fierté, a été maintes fois trahie, tout comme ces expatriés eux-mêmes. La première trahison s’est produite lorsqu’ils ont été contraints de quitter leur terre natale pour subvenir à leurs besoins, améliorer leur condition de vie ou chercher une existence meilleure. La seconde est survenue lorsqu’ils ont placé leurs économies et leurs investissements au service de leur pays d’origine, pour ensuite être dépouillés et trahis par leur propre État. Enfin, une troisième trahison a eu lieu lorsqu’ils ont été ciblés dans leurs pays d’accueil, entraînés dans les divisions et les luttes politiques qui ravagent le Liban. La paix et le développement ne pourront être atteints qu’en tissant des liens solides et en bâtissant des partenariats productifs avec tous les expatriés à travers le monde, afin de préserver le Liban et de relancer son économie.
6-La paix par le développement durable: Nous évoquons ici des idées inspirées par la nature et les bénédictions divines, conçues pour promouvoir l’autonomie et instaurer la paix grâce au développement durable. Il s’agit d’exploiter de manière réfléchie les ressources que la nature nous offre, pour encourager le progrès et la croissance. Dans ce contexte, la paix se construit à travers l’innovation dans ce domaine, permettant une prospérité inclusive et la satisfaction des besoins des générations actuelles et futures, en harmonie avec la nature. Le développement durable ouvre ainsi la voie à une avancée économique, sociale et culturelle, tout en préservant les ressources naturelles et en assurant un équilibre écologique indispensable.
Je conclurai en proposant une stratégie basée sur les 4P pour atteindre le P essentiel : PEACE (la Paix).
• Premier P – PERCEPTION (la perception): Nous pouvons aujourd’hui imaginer que nous nous dirigeons vers une guerre totale et une destruction renouvelée. Mais pourquoi ne pas plutôt envisager un avenir de paix globale et de développement solide ? Sommes-nous vraiment prêts pour la paix ?
• Deuxième P – PATIENCE (la patience): Travaillons avec patience, mais guidés par une vision claire et des objectifs bien définis.
• Troisième P – PASSION (la passion) : L’amour et l’engagement passionné donnent une intensité et une force uniques à nos actions.
• Quatrième P – PERSEVERANCE (la persévérance) : La persévérance est la clé du succès dans tous les domaines. C’est elle qui nous mènera, pas à pas, vers le P fondamental : la Paix.