Accès au crédit: défis et opportunités
pour les femmes entrepreneurs
Nicola Ehlermann, Conseillère en matière de développement économique durable et d’égalité des sexes, ancienne responsable du programme de compétitivité MENA-OCDE, chargée de cours à Sciences Politiques, Paris, France
Au cours des 50 dernières années, le revenu moyen par habitant au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) a été faible1 , n’augmentant que de 62 %. De nombreuses études soulignent depuis le début du siècle la nécessité d’améliorer le climat des affaires dans la région, y compris l’accès au financement. Cela afin de tirer parti de l’important potentiel inexploité et d’élargir la diversification économique, de stimuler l’innovation et de soutenir la croissance. Il s’agit notamment de réduire les écarts entre les hommes et les femmes. Malgré des progrès indéniables en matière d’éducation, l’écart global entre les hommes et les femmes restent important dans leurs aspirations et leurs opportunités mais également en termes de résultats.
La présence des femmes est en effet limitée dans les domaines économique et scientifique, ainsi que dans l’entrepreneuriat. La région MENA affiche les taux les plus bas de femmes occupant des postes de direction2 dans le monde entier, avec seulement 5 % de femmes à la tête d’entreprises. Pourtant, comme l’ont montré de nombreuses études, lorsque les femmes sont représentées dans des rôles de direction, leur propre situation socio-économique s’améliore et leur communauté en bénéficie dans son ensemble.
La région MENA se situe également à l’avant-dernier rang mondial pour ce qui est de la participation des femmes à la propriété3 des entreprises (moins de 3 %) et présente l’écart le plus important au monde entre les hommes et les femmes en matière d’entrepreneuriat : 12 % des femmes sont chefs d’entreprise, contre 31 % des hommes4.
Le retard des femmes en matière d’entrepreneuriat s’explique pour partie par des difficultés spécifiques qu’elles rencontrent lors de la création, de la gestion ou du développement d’une entreprise. Bien que d’un point de vue juridique les hommes et les femmes soient soumis aux mêmes exigences pour l’enregistrement d’une entreprise, dans la pratique les femmes rencontrent des obstacles spécifiques résultant de dispositions juridiques et socio-économiques ancrées dans le droit de la famille ou le droit du travail.
Notons que l’expérience professionnelle et les contacts professionnels sont essentiels à la réussite d’une entreprise. Or, ces deux éléments sont limités pour de nombreuses femmes de la région MENA en raison de leur moindre accès au marché du travail notamment. En effet, bien que l’écart entre les sexes ait diminué en termes de niveau d’éducation, la participation des femmes au marché du travail, à seulement 16 %, demeure la plus faible au monde5.
L’accès au financement, si essentiel pour créer et développer une entreprise, est en principe le même pour les hommes et les femmes. Toutefois, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à détenir un compte dans une institution financière ou une carte de crédit à leur nom. En outre, divers facteurs – tels que les limites imposées aux droits de propriété et aux actifs des femmes, l’inégalité des lois sur l’héritage et le fait que les banques exigent des maris qu’ils cosignent les prêts – contribuent à ce que les femmes disposent de moins de garanties que les hommes pour obtenir un financement externe.
Le financement bancaire reste une pierre d’achoppement. Les femmes entrepreneurs considèrent le manque d’accès au financement comme un obstacle majeur et souvent primordial à la création et au développement de leurs entreprises. Cela est dû à des facteurs tels que les exigences en matière de garanties qui ne peuvent être satisfaites par les jeunes entreprises en phase de démarrage. Des systèmes plus avancés d’octroi de fonds aux femmes entrepreneurs, tels que l’investissement en actions et la participation aux bénéfices, semblent insuffisamment pratiqués. Les témoignages des femmes entrepreneurs de la région suggèrent que de nombreux projets peinent à obtenir le financement nécessaire à leur croissance et à leur efficacité opérationnelle. Par ailleurs, il reste difficile d’obtenir des subventions ou des investissements adaptés aux projets à petite échelle, en particulier dans les zones rurales.
Les femmes se tournent donc généralement vers d’autres options telles que l’emprunt auprès de la famille et des amis ou le microcrédit, qui présentent toutes des limites et empêchent les entreprises féminines d’innover, de se développer et de passer à l’échelle supérieure. Il est nécessaire que les micro, petites et moyennes entreprises détenues et gérées par des femmes puissent être accompagnées par des bailleurs de fonds afin de se développer au-delà de la microfinance. Comme toutes les entreprises, celles détenues par des femmes, auraient souvent besoin de services et de produits plus variés, ainsi que de prêts plus importants que ceux que les institutions de microfinance peuvent fournir.
Afin que les femmes puissent s’engager dans l’entreprenariat certains gouvernements arabes ont adopté des progammes de soutien tel le «Programme Kafalat» au Liban (garanties de prêts). Certaines banques arabes offrent des produits financiers dédiés6 , avec des programmes d’accompagnement7 et des partenariats stratégiques8 9.
Ces initiatives témoignent de prises de consciences heureuses de la part des banques et des gouvernements, et sont certainement une voie pour encourager l’entreprenariat féminin. Plus d’actions de ce type ainsi que la mise en place d’une veille concernant les bonnes pratiques seraient souhaitables. D’après certains témoignages, les programmes publics visant à soutenir l’esprit d’entreprise des femmes restent insuffisant et ceux qui existent semblent rester excessivement prudents et bureaucratiques dans le versement des fonds.
Les banques pourtant si essentielles, semblent encore trop réticentes à financer les petites entreprises et les jeunes pousses et ce même en cas de programmes dédiés. Les femmes mentionnent le manque d’intérêt des représentants bancaires pour les projets menés par les femmes et ceci quand bien même de tels projets sont spécifiquement promus par leur banque. Les femmes entrepreneurs signalent en outre qu’on leur pose des questions que l’on ne poserait pas aux hommes, par exemple si elles ont l’intention d’avoir un enfant, ce qui a une incidence sur leur accès à un prêt. Le manque de soutiens financiers est d’autant plus regrettable que les femmes font généralement preuve d’une grande fiabilité en matière de remboursement d’emprunts.
Pour développer la quatrième révolution industrielle, il est nécessaire d’augmenter la représentation des femmes dans l’économie et il est essentiel qu’un plus grand nombre d’institutions financières comprennent – le cas échéant avec le soutien des gouvernements ou les instances gouvernementales ou financières internationales – l’importance des entreprises détenues par des femmes sur leurs marchés.
Ensemble, ces acteurs publics et privés pourraient réfléchir à la manière de soutenir l’engagement économique des femmes et de faire de l’entrepreneuriat féminin un pilier de l’économie régionale. Les pistes d’action comprennent le renforcement des partenariats public-privé et la mise en commun des ressources. Le développement de formations et une meilleure compréhension par le secteur bancaire des besoins des femmes et de leur contribution à l’économie. La mise en place de programmes de formation du personnel banccaire pour prévenir les discriminations et garantir l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’attribution des crédits. Le développement d’applications mobiles numérisées à faible coût pour favoriser l’accès au financement des micro-entrepreneurs. Enfin, l’adoption de l’intelligence artificielle (IA) pour la due diligence10 dans le secteur du crédit et particulièrement le microcrédit pourrait résoudre des problèmes de subjectivité, de coûts et de lenteur et constituer un moyen d’accroître l’accès des femmes au financement, de renforcer l’équité dans le traitement des dossiers et, in fine, de soutenir l’essor économique et social porté par l’entrepreneuriat féminin.
En effet, l’IA offre des solutions pour remédier à certains dysfonctionnements et donner accès à un plus grand nombre de femmes, auparavant écartées faute de moyens ou de compétences suffisantes pour évaluer leurs dossiers. L’accès des femmes à des financements entrepreneuriaux demeurent entravés par des processus de due diligence qui, dans la pratique, se révèlent subjectifs, coûteux et longs. L’application de grilles d’évaluations standards existe mais sont encore largement dépendante de la rigueur et de l’expertise de l’analyste, qui par l’introduction de biais cognitifs susceptibles d’exclure certaines entrepreneuses. Par ailleurs, la mobilisation d’experts allonge considérablement les délais et renchérit les coûts, ce qui limite le nombre de dossiers examinés et pénalise les candidates qui ne rentrent pas dans des « cases » prédéfinies. L’IA permet de standardiser et de faire respecter une grille d’analyse précise, réduisant la place de la subjectivité tout en traitant un volume plus important de dossiers et en maintenant une cohérence et une uniformité dans l’évaluation. Aussi, l’automatisation d’une grande partie du travail d’analyse libère du temps pour les experts humains, qui peuvent alors se concentrer sur les cas spécifiques ou complexes, assurant un arbitrage plus fin. L’intégration de l’IA favorise également une meilleure gouvernance au travers de la traçabilité des décisions et peut contribuer à identifier de nouveaux critères (comportementaux, transactionnels, etc.) qui offrent des perspectives de scoring plus inclusives, mieux adaptées aux réalités de l’entrepreneuriat féminin dans la région MENA.
[1]European Investment Bank, European Bank for Reconstruction and Development, World Bank (2°22): Unlocking Sustainable Private Sector Growth in the Middle East and North Africa: Evidence from the Enterprise Survey.
[2] European Bank for Reconstruction and Development, European Investment Bank and World Bank (2022) Unlocking Sustainable Private Sector Growth in the Middle East and North Africa: Evidence from the Enterprise Survey.
[3] World Bank Blogs (2019) Where in the world do women still face legal barriers to own and administer assets?
[4] Ibid.
[5] Vers une région MENA dynamique : réduire le déficit d’emplois, 30 janvier 2025 https://blogs.worldbank.org/fr/arabvoices/mena-is-open-to-work–tackling-the-jobs-deficit.
[6] tel Banque Al Amal (Maroc) qui accorde des crédits à taux préférentiels pour les projets dirigés par des femmes.
[7] Emirates NBD aux Emirats Arabes Unis : Programme « Women’s Edge » offre des prêts sans garantie jusqu’à 500 000 AED (environ 136 000 $) et des services de mentorat.
[8] Arab Bank (Jordanie) collabore avec l’ONU Femmes pour financer les PME féminines dans les zones rurales.
[9] La Banque Islamique de Développement (BID) a alloué 500 millions $ en 2021 à des projets inclusifs, dont 40 % ciblent les femmes.
[10] Des solutions IA du marché qui pourrait être adaptés au besoins spécifiques :
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PWC Risk intelligent Monitoring : Analyse en temps réel des risques financiers et opérationnels pour aider les prêteurs à évaluer la solvabilité et détecter les alertes
https://www.pwc.com/sk/en/digital-solutions/pwc-intelligent-risk-monitoring.html
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Kira : utilise l›IA pour automatiser l›examen des contrats, accélérant l’analyse et réduisant les erreurs humaines (Solution qui domine le marché) https://kirasystems.com/how-kira-works/due-diligence/
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Diligent Due Diligence AI : utilise l›IA pour analyser les risques financiers et juridiques, automatisant l’évaluation des emprunteurs https://www.diligent.com/products/due-diligence