Libérer le potentiel de la jeunesse euro-méditerranéenne:
Le rôle de la finance inclusive dans l’essor entrepreneurial
Face à une double impasse – le chômage et l’exclusion économique – la jeunesse des pays euro-méditerranéens peine à s’insérer dans des économies en mutation. Tandis que les marchés du travail restent rigides et saturés, l’entrepreneuriat se présente comme une voie d’avenir, encore freinée par un accès limité aux financements. Élaborée par l’Union des Banques Arabes, cette étude met en lumière les défis et les leviers d’action pour renforcer l’inclusion économique des jeunes. En croisant les expériences du monde arabe et du Sud de l’Europe, elle propose des pistes concrètes pour bâtir un écosystème entrepreneurial plus inclusif et résilient. Une invitation à investir durablement dans le potentiel d’une génération porteuse d’innovation et de transformation.
Une jeunesse face à une double impasse: emploi et inclusion économique
Le chômage des jeunes demeure l’un des enjeux socio-économiques les plus préoccupants des pays du pourtour méditerranéen. Qu’il s’agisse des États du sud de l’Europe ou du monde arabe, les moins de 25 ans peinent à s’insérer sur des marchés du travail souvent rigides, instables ou saturés.
Dans les pays arabes:
Selon le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) intitulé « Emploi et perspectives sociales dans les pays arabes – Tendances 2024 », la situation de l’emploi reste préoccupante malgré une reprise économique modérée. Le taux de chômage global dans la région devrait atteindre 9,8 % en 2024, un niveau supérieur à celui enregistré avant la pandémie.
Plus alarmant encore, la pénurie d’emploi touche de plein fouet les jeunes générations : en 2023, 17,5 millions de personnes dans la région étaient activement à la recherche d’un emploi sans succès, représentant un taux de pénurie d’emploi de 23,7 %. Les jeunes sont largement surreprésentés dans cette catégorie, en raison de facteurs structurels comme la faiblesse du secteur privé, les conflits prolongés, la fragmentation politique, l’instabilité macroéconomique, et des pressions démographiques croissantes.
La lente reprise du marché du travail post-Covid contraste avec une croissance régionale estimée à 3,5 % en 2024, tirée surtout par les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Pourtant, dans les pays non-membres du CCG, les jeunes restent confrontés à un déficit persistant d’emplois décents, notamment dans les économies à faible diversification.
En Europe du Sud:
Selon les dernières statistiques d’Eurostat, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans dans l’Union européenne était de 14,5 % en mars 2025, contre 5,8 % pour l’ensemble de la population active. L’Espagne (26,6 %), la Grèce (25,2 %), le Luxembourg (21,4 %) et la Suède (20,8 %) sont les pays les plus durement touchés. La France, avec 17,6 %, reste au-dessus de la moyenne européenne.
Cette marginalisation croissante des jeunes sur les marchés du travail, de part et d’autre de la Méditerranée, appelle à des politiques ciblées, une réforme des systèmes d’enseignement et une mobilisation accrue de la finance pour soutenir la création d’emplois durables et inclusifs.
Un potentiel humain sous-exploité:
Dans un monde en pleine mutation, où la transition numérique et écologique redéfinit les besoins économiques, la jeunesse des pays arabes et du sud de l’Europe incarne un formidable levier de croissance encore largement négligé. Malgré une amélioration continue des niveaux d’éducation, une part significative de cette génération reste écartée du marché du travail ou cantonnée à des emplois précaires et informels, faute de passerelles efficaces entre les systèmes de formation et les réalités économiques.
Dans les pays arabes, l’écart entre compétences disponibles et opportunités réelles traduit une profonde déconnexion entre l’offre éducative et les exigences du marché. Trop peu de jeunes sont préparés aux métiers d’avenir, en particulier dans les secteurs du digital, des énergies renouvelables ou de l’économie verte. L’absence de dispositifs d’orientation, de formation professionnelle modernisée ou de soutien à l’auto-entrepreneuriat aggrave cette situation. De même, la faible capacité d’absorption du secteur privé, combinée à une forte concentration des activités économiques dans des secteurs traditionnels peu générateurs d’emplois, limite les perspectives pour les jeunes diplômés.
Ce sous-emploi massif de la jeunesse représente non seulement un gâchis de compétences, mais aussi un frein majeur au développement durable et à la stabilité sociale. La région arabe, où plus de la moitié de la population a moins de 30 ans, risque de voir s’amplifier les frustrations et les inégalités si des réponses structurelles ne sont pas apportées. Il devient dès lors impératif de repenser les politiques d’emploi, d’éducation et de financement, en plaçant les jeunes au cœur des stratégies nationales de développement. Mobiliser leur énergie, leur créativité et leur ambition est une condition indispensable pour transformer ce défi en opportunité économique et sociétale.
L’entrepreneuriat: un levier de transformation et de résilience
Un choix par nécessité… mais aussi par aspiration:
Dans un contexte de chômage structurel élevé, de précarité de l’emploi et de saturation des marchés du travail formels, notamment dans de nombreux pays arabes, l’entrepreneuriat apparaît de plus en plus comme une voie alternative choisie – ou subie – par la jeunesse. De nombreux jeunes se tournent vers l’auto-emploi non seulement pour échapper au chômage, mais aussi pour reprendre le contrôle de leur avenir professionnel. Cette dynamique de « choix par défaut » se transforme progressivement en une culture entrepreneuriale affirmée, portée par une jeunesse en quête de sens, de liberté économique et d’impact social.
Au-delà de la simple recherche de revenus, une nouvelle génération d’entrepreneurs ambitionne de répondre à des problématiques sociétales ou environnementales, en s’engageant dans des projets à finalité inclusive et durable. L’esprit d’entreprise devient alors une forme d’émancipation, un acte de résilience face aux crises économiques, politiques et climatiques, mais aussi un outil puissant de transformation structurelle des économies locales.
Des secteurs porteurs et alignés sur les ODD:
Les jeunes entrepreneurs se tournent massivement vers des secteurs innovants, à fort potentiel de croissance, souvent délaissés par les acteurs économiques traditionnels. Parmi ces domaines:
- Les technologies numériques, qui permettent de créer des solutions accessibles, agiles et adaptables, notamment dans l’éducation, la santé, ou les services financiers.
- Les énergies renouvelables, qui attirent une jeunesse sensible aux enjeux climatiques et désireuse de proposer des modèles énergétiques décentralisés et durables.
- L’agriculture intelligente, qui combine innovation technologique et savoir-faire local pour améliorer la productivité, réduire les pertes et renforcer la sécurité alimentaire.
- Les industries culturelles et créatives, terrain d’expression privilégié d’une jeunesse urbaine, connectée et inventive, qui valorise les identités locales tout en s’insérant dans des dynamiques globales.
- La finance digitale, qui favorise l’inclusion financière et l’accès aux services de base dans les zones marginalisées ou rurales.
Ces secteurs ne sont pas seulement des niches de marché : ils incarnent une nouvelle vision du développement économique, plus inclusive, plus verte et mieux alignée avec les Objectifs de développement durable (ODD). Accompagnée par des politiques publiques adaptées, des financements ciblés et des écosystèmes d’accompagnement solides, cette dynamique entrepreneuriale peut devenir un pilier de la résilience économique et sociale dans les pays du pourtour méditerranéen.
Le rôle structurant de la finance: entre obstacles persistants et solutions innovantes
a. Les barrières de la finance traditionnelle: une jeunesse perçue comme risquée
Dans de nombreux pays du pourtour méditerranéen, les jeunes aspirants entrepreneurs se heurtent à un système financier qui peine à répondre à leurs besoins spécifiques. Les banques traditionnelles, souvent gouvernées par une logique de prudence excessive, les considèrent comme des profils à haut risque. En l’absence d’un historique de crédit, de garanties réelles ou d’un réseau professionnel solide, les jeunes peinent à obtenir des financements, même pour des projets viables.
Cette exclusion est encore plus marquée pour les jeunes femmes, victimes de discriminations croisées liées à leur âge, leur genre et parfois leur origine sociale ou géographique. Dans de nombreux contextes culturels et institutionnels, elles sont moins informées des mécanismes de financement existants, moins bien accompagnées, et subissent des normes sociales qui freinent leur accès au capital et à l’autonomie économique.
b. Une finance plus inclusive en pleine émergence: catalyseur de l’innovation sociale
Face à ces blocages, des solutions alternatives émergent, portées par une nouvelle génération d’acteurs financiers soucieux d’inclusion et d’impact. Ces innovations transforment en profondeur les canaux de financement traditionnellement fermés à la jeunesse :
- Les institutions de microfinance proposent des prêts à faible montant, sans exigence de garanties formelles, souvent accompagnés de services non financiers (formation, mentorat, appui technique).
- Les fintechs, en plein essor dans la région MENA, utilisent les outils numériques pour évaluer les risques différemment (analyse comportementale, scoring alternatif) et offrir des produits financiers plus accessibles, notamment via le mobile banking.
- Les banques à mission et fonds d’impact ciblent les projets porteurs de transformations sociales, environnementales ou communautaires, en intégrant des critères extra-financiers dans leurs décisions d’investissement.
- Les programmes publics, parapublics ou multilatéraux, comme Bpifrance en France, le SANAD Fund soutenu par la KfW, ou encore le programme tunisien Tamweely, mettent en place des instruments de garantie, de subvention ou de capital-risque pour pallier les défaillances du marché et renforcer la confiance des investisseurs privés.
c. Vers des mécanismes hybrides et des partenariats euro-méditerranéens
Au-delà des initiatives nationales, une dynamique de coopération financière entre l’Europe et la région MENA se dessine, portée par des institutions comme la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence française de développement (AFD) ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Ces acteurs déploient des fonds conjoints, mécanismes de cofinancement, et guichets régionaux pour soutenir les écosystèmes entrepreneuriaux, avec une attention croissante portée aux jeunes et aux femmes.
Ces instruments hybrides – combinant prêts, garanties, subventions et appui technique – permettent d’amplifier l’effet de levier des ressources mobilisées et de structurer des chaînes de valeur économiques plus inclusives et résilientes. En renforçant les capacités des institutions financières locales et en accompagnant l’émergence de modèles économiques responsables, ils favorisent une intégration régionale solidaire, fondée sur l’investissement dans le capital humain.
Etudes de cas et bonnes pratiques inspirantes:
des modèles reproductibles pour l’inclusion économique des jeunes
De nombreux pays, tant dans la région MENA qu’en Europe, ont mis en œuvre des programmes novateurs pour encourager l’entrepreneuriat des jeunes, en combinant financement, accompagnement et ancrage territorial. Ces expériences offrent des enseignements précieux pour la mise en place de dispositifs intégrés au service de l’emploi et de l’inclusion économique.
- Tunisie – Projet Mashrou3i (ONUDI/USAID/Italie/Japon) : Ce programme emblématique d’appui à l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes dans les régions défavorisées a permis l’accompagnement de plus de 6 400 jeunes entrepreneurs entre 2013 et 2023. Il s’appuie sur une forte implantation territoriale, une collaboration étroite avec les centres de formation professionnelle et les chambres de commerce, et une approche orientée résultats. Le projet a généré plus de 10 000 emplois directs et indirects.
- Égypte – Youth Start Egypt (UNDP/INJAZ/IFC) : Ce programme soutient les jeunes entrepreneurs sociaux par un modèle intégré qui combine financement, formation entrepreneuriale, mentorat et mise en réseau. Il a permis la création de centaines de startups à fort impact social dans des domaines allant de l’éducation à la santé en passant par l’environnement, avec une attention particulière portée aux jeunes femmes et aux zones rurales.
- Maroc – Programme Intelaka : Lancé en 2020 sous l’impulsion royale, ce programme mobilise les banques, les institutions publiques et les acteurs du développement pour offrir des prêts bonifiés, des garanties et un accompagnement renforcé aux jeunes porteurs de projet. En trois ans, plus de 100 000 projets ont été financés, avec une enveloppe dépassant les 6 milliards de dirhams, contribuant à démocratiser l’accès au financement entrepreneurial.
- France – Réseaux Initiative France et Adie : Ces deux structures pionnières jouent un rôle clé dans l’inclusion entrepreneuriale des jeunes, notamment issus de milieux modestes. Initiative France propose des prêts d’honneur sans intérêts ni garanties, assortis d’un accompagnement de proximité par des bénévoles expérimentés. L’Adie, quant à elle, est spécialisée dans le microcrédit pour les exclus du système bancaire, et met en œuvre des formations et un suivi intensif pour maximiser les chances de réussite.
- Région euro-méditerranéenne – Initiative EBSOMED (UE/BUSINESSMED) : Ce programme régional vise à renforcer les capacités des organisations de soutien aux entreprises (BSO) dans les pays du voisinage Sud de la Méditerranée. À travers des cycles de formation, des missions B2B et des plateformes de réseautage, EBSOMED facilite la coopération interrégionale, l’échange de bonnes pratiques et la professionnalisation des services d’appui aux PME.
Construire un écosystème euro-arabe de l’entrepreneuriat
des jeunes: une priorité pour une croissance inclusive et durable
La jeunesse euro-méditerranéenne, porteuse d’innovation et de résilience, a besoin d’un environnement favorable pour transformer son potentiel en moteurs de développement. La construction d’un écosystème entrepreneurial transfrontalier et inclusif passe par trois axes structurants et complémentaires.
a. Consolider les passerelles entre incubateurs, investisseurs et financeurs:
Dans un contexte marqué par l’émergence de startups à fort impact dans les deux rives de la Méditerranée, il devient essentiel de développer des plateformes euro-arabes de matchmaking entre porteurs de projets, investisseurs institutionnels, business angels et fonds d’amorçage. La création de fonds d’innovation conjoints (Nord-Sud), accompagnés de dispositifs de mobilité entrepreneuriale (stages, learning expeditions, concours), pourrait stimuler les synergies et favoriser le transfert de compétences, de technologies et de capitaux. Des initiatives comme le programme EBSOMED ou le Mediterranean Innovation Partnership offrent des cadres de coopération à renforcer.
b. Développer la littératie financière et numérique:
L’insuffisance de compétences en gestion financière et en usage des technologies demeure un frein majeur à l’entrepreneuriat jeune. Pour y remédier, des modules d’éducation financière doivent être intégrés dès le secondaire, en complément d’initiatives d’accompagnement bancaire (sessions de mentorat, simulateurs de crédit, conseils budgétaires). Parallèlement, la démocratisation de l’accès aux outils numériques – plateformes de paiement, solutions de gestion en ligne, marketing digital – permettra aux jeunes entrepreneurs d’améliorer leur visibilité, leur productivité et leur accès aux marchés. L’appui de partenaires publics et privés est crucial pour assurer l’inclusivité de ces formations, notamment en zones rurales.
c. Intégrer les jeunes dans les politiques bancaires et de développement:
L’offre financière actuelle demeure inadaptée aux réalités des jeunes entrepreneurs. Il est urgent de concevoir des produits financiers ciblés : microcrédits à faible taux, garanties spécifiques, services d’assurance-risque, et dispositifs de financement mixte (blended finance) couplés à de l’accompagnement technique. Les stratégies nationales et régionales doivent intégrer un volet jeunesse clair dans les plans de développement économique, en s’appuyant sur des indicateurs de suivi spécifiques. Les banques centrales et les régulateurs peuvent également jouer un rôle en incitant les banques commerciales à développer des portefeuilles dédiés à la jeunesse et en soutenant les initiatives innovantes à fort potentiel d’impact social et économique.
Vers une alliance stratégique pour libérer l’énergie entrepreneuriale des jeunes
L’analyse croisée des réalités économiques des deux rives de la Méditerranée met en évidence une double urgence: celle de lutter contre le chômage persistant des jeunes, et celle de réorienter les instruments financiers pour les rendre plus inclusifs, plus agiles et mieux alignés avec les aspirations d’une jeunesse créative, instruite et résiliente.
Face à un marché du travail saturé et des systèmes financiers encore trop frileux, l’entrepreneuriat représente une réponse transversale, à la fois économique, sociale et sociétale. Il permet non seulement de générer de l’emploi et de la richesse, mais aussi de répondre aux défis contemporains en matière d’innovation sociale, de transition écologique et de développement local.
La mobilisation d’une finance inclusive et partenariale – intégrant banques traditionnelles, fintechs, acteurs publics et investisseurs à impact – est donc indispensable. Elle doit s’accompagner d’une transformation structurelle des politiques éducatives, de la gouvernance économique et des mécanismes de coopération euro-arabe. Les initiatives inspirantes présentées dans cette étude montrent qu’il est possible de combiner ambition économique et justice sociale, à condition de sortir des approches fragmentées et de renforcer les synergies à l’échelle régionale.
Il est temps d’ancrer l’entrepreneuriat des jeunes dans les priorités stratégiques des pays euro-méditerranéens, en le dotant d’un écosystème robuste: éducation modernisée, incubateurs interconnectés, outils financiers hybrides, mobilité entrepreneuriale et mentorat. Cette alliance intergénérationnelle et interrégionale peut faire de la Méditerranée non plus une ligne de fracture, mais un pont d’innovation, d’inclusion et de prospérité partagée.
Investir dans la jeunesse aujourd’hui, c’est façonner une région résiliente demain. C’est parier sur une Méditerranée ouverte, connectée et solidaire, portée par une nouvelle génération d’entrepreneurs bâtisseurs d’avenir.