Vers une Méditerranée inclusive portée
par le leadership féminin
Mme Madiha RASLAN
Présidente et Fondatrice du Conseil Libanais des Femmes Leaders
Madame Madiha Raslan, présidente et fondatrice du Conseil Libanais des Femmes Leaders, œuvre depuis des années pour renforcer la place des femmes dans l’économie libanaise et méditerranéenne. Dans cet entretien, elle partage sa vision d’un avenir financier équitable, détaille les initiatives de son association en faveur des entrepreneures et souligne l’importance de la solidarité féminine face aux crises. Un témoignage inspirant d’engagement et d’espoir.
1- En tant que Présidente de l’Association des Femmes Leaders, comment évaluez-vous l’état actuel de l’accès des femmes au financement au Liban et dans la région méditerranéenne ?
Absolument. Il existe un écart important en matière d’accès au financement pour les femmes au Liban, comparé à d’autres pays méditerranéens. Alors qu’en France ou en Italie, les femmes bénéficient d’un accès relativement équitable aux services financiers, la situation libanaise est bien plus préoccupante. La crise économique et financière qui perdure depuis des années a profondément désorganisé le système bancaire, plongeant le pays dans une paralysie financière quasi totale.
Au Liban, les obstacles au financement touchent à la fois les hommes et les femmes. Mais les femmes entrepreneures en subissent les conséquences de manière plus aiguë. Faute de solutions alternatives, nombre d’entre elles doivent puiser dans leurs économies personnelles pour lancer ou maintenir leur activité — un choix risqué et rarement durable dans un environnement aussi instable.
Dans le sillage de la crise, un changement de tendance a émergé : de plus en plus de femmes accèdent au marché du travail, non comme salariées, mais en tant que cheffes d’entreprise. Pourtant, leur principal obstacle demeure l’accès au capital. Pour répondre à cette urgence, notre association a intensifié ses efforts auprès des bailleurs de fonds internationaux — notamment ceux engagés en faveur de l’autonomisation économique des femmes au Liban — pour obtenir des aides financières, que ce soit sous forme de subventions ou de soutien direct.
Ce besoin est d’autant plus pressant dans les régions durement touchées par les conflits récents, où de nombreuses femmes ont perdu leurs sources de revenu et peinent à se reconstruire. Un soutien continu s’avère essentiel, non seulement pour assurer la survie des entreprises dirigées par des femmes, mais aussi pour renforcer la résilience des familles et des communautés qu’elles soutiennent.
En parallèle, le Liban a un besoin urgent de réformes immédiates et en profondeur de son secteur bancaire. Tant que celles-ci ne seront pas mises en œuvre, les subventions internationales et l’appui des donateurs resteront indispensables pour maintenir la participation économique des femmes et favoriser une reprise durable à long terme.
2- Quelles actions concrètes votre association a-t-elle entreprises pour aider les femmes entrepreneures à accéder aux outils financiers et à bâtir des entreprises durables ?
Pendant la guerre, nous avons sollicité le soutien des Nations Unies, mais malheureusement, nos démarches n’ont pas abouti. Nous avons également engagé un dialogue avec la CESAO dans le but d’explorer des mécanismes permettant de canaliser des fonds vers les entreprises vulnérables dirigées par des femmes. À cette période, plus d’un millier d’entreprises féminines au Liban avaient un besoin urgent d’un soutien financier pour couvrir au moins trois mois de frais d’exploitation.
L’un des objectifs fondamentaux de notre association est de favoriser la création d’entreprises durables portées par des femmes. Pour cela, nous mettons en œuvre, de manière régulière, des programmes de formation ciblés, conçus pour répondre aux besoins évolutifs de nos membres. Ces formations sont élaborées à partir des retours directs des entrepreneures, et portent sur des thématiques clés telles que la gestion financière, le développement des affaires, les stratégies marketing, ou encore l’intégration des outils émergents comme l’intelligence artificielle.
Parmi nos initiatives phares figure Jazzmin, un concept de commerce unique lancé sous le patronage de l’Association des Femmes Leaders. Jazzmin est un espace vivant, entièrement géré, investi et animé par des femmes. Il offre une plateforme aux créatrices pour exposer, promouvoir et exporter leurs produits, sans leur imposer de frais fixes. À ce jour, plus de 140 femmes y participent activement.
En parallèle, nous préparons une conférence intitulée « Ana Lubnaniya Arabiya », visant à encourager l’investissement et la coopération entre femmes arabes et libanaises. L’objectif est clair : attirer des capitaux arabes, créer des partenariats stratégiques et ouvrir de nouvelles perspectives pour les femmes libanaises, tant au niveau national qu’international.
Selon vous, quels sont les principaux obstacles qui empêchent les femmes d’atteindre l’équité financière et des postes de leadership dans le secteur économique ?
Il ne fait aucun doute que des contraintes sociales subsistent encore, mais elles se sont considérablement atténuées avec le temps. Au sein de notre association, la majorité de nos membres ne sont plus confrontées à des freins majeurs de cet ordre. En revanche, les inégalités en matière d’équité financière persistent, principalement en raison de la crise économique et financière prolongée que traverse le Liban.
Cela étant dit, les progrès en matière de leadership féminin au Liban sont indéniables. Depuis 2018, notre association joue un rôle central dans la sensibilisation, le renforcement des capacités et l’accompagnement des femmes pour qu’elles puissent s’engager plus activement dans les sphères économique et publique. Nous privilégions des approches concrètes, axées sur l’autonomisation et le développement du leadership féminin.
Nous sommes présentes, actives et engagées. À titre d’exemple, notre conférence phare « Ana Lubnaniya Arabiya » a été lancée pour la première fois lors de l’Expo Dubaï, offrant une tribune internationale aux femmes libanaises pour présenter leurs produits, valoriser leurs parcours et tisser des liens à l’échelle mondiale. La deuxième édition à Beyrouth a poursuivi cette dynamique à travers des initiatives marquantes comme le programme exécutif « She Leads » ou la journée « Well-Being Day », tous deux destinés à accompagner et célébrer les femmes leaders.
Nos membres ne sont pas de simples participantes: ce sont des actrices du changement, des collaboratrices et des passeuses de savoir. L’association a su créer des synergies concrètes entre ses membres, donnant naissance à de véritables initiatives économiques. L’exemple le plus emblématique est la création de Jazzmin SAL, sous l’égide de UBW Holding, qui fédère un ensemble d’entreprises visant à renforcer la présence économique des femmes au Liban.
Ces initiatives vont bien au-delà de l’autonomisation : elles s’inscrivent dans une logique d’impact mesurable. Nous œuvrons à quantifier la contribution des femmes à la création d’emplois, au développement des entreprises et à la croissance économique nationale, dans un contexte particulièrement critique pour le pays. Les femmes sont aujourd’hui présentes et actives dans tous les secteurs de l’économie, et notre mission est de faire entendre leur voix encore davantage.
Nous disposons aujourd’hui d’un vivier croissant de femmes compétentes, prêtes à occuper des postes de décision. Et lorsqu’une femme manifeste l’ambition de diriger, nous sommes là pour l’accompagner à chaque étape de son parcours.
4- Comment les banques et les institutions financières peuvent-elles jouer un rôle plus important dans l’autonomisation économique des femmes dans les régions arabes et méditerranéennes ?
Les banques ont un rôle clé à jouer dans l’autonomisation économique des femmes, notamment en développant des produits financiers spécifiquement adaptés à leurs besoins. Les femmes font généralement preuve de prudence dans la gestion de l’argent, s’engagent moins dans des projets à haut risque et affichent un fort taux de remboursement des prêts. Cette rigueur financière en fait des clientes fiables, offrant aux banques une opportunité de concevoir des solutions alignées sur leurs comportements et profils financiers spécifiques.
Pour aller dans ce sens, il est essentiel d’identifier les secteurs dans lesquels les femmes font déjà preuve de dynamisme, d’innovation et de réussite. Au Liban, par exemple, nous avons lancé l’Arab Edutainment Hub après avoir constaté que l’éducation et le divertissement étaient deux domaines où les femmes étaient particulièrement présentes et performantes. Cette initiative novatrice combine apprentissage et expérience immersive, offrant aux femmes arabes une plateforme complète pour se former, réseauter et accéder à des fonctions de direction.
Le Hub intègre également des services liés au bien-être, à la beauté, à l’hospitalité et à l’art de vivre, créant ainsi un écosystème complet qui soutient les femmes tant sur le plan personnel que professionnel. Conférences, formations et expériences sur mesure font partie intégrante de ce modèle, fournissant aux femmes bien plus que du savoir : un environnement porteur où elles peuvent s’épanouir.
Les femmes apportent constamment des idées créatives et des solutions concrètes. Toute initiative visant leur autonomisation doit être fondée sur une analyse rigoureuse, répondre aux besoins réels du marché et se concentrer sur des secteurs porteurs. En ciblant les domaines à forte demande et en y investissant intelligemment, les femmes peuvent jouer un rôle déterminant dans le développement économique, la création d’emplois et la croissance à long terme.
5- Quelle est votre vision d’un avenir financier équitable entre les sexes pour la région méditerranéenne ? Quels sont les changements les plus urgents à opérer ?
Un avenir financier équitable entre les sexes en Méditerranée commence par l’égalité d’accès des femmes aux ressources financières, aux postes de décision, ainsi qu’aux outils numériques. Les priorités les plus urgentes sont la réduction du fossé de financement pour les entreprises dirigées par des femmes, l’application stricte de l’égalité salariale, et la mise en place de politiques favorisant l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il est également essentiel de remettre en question les normes culturelles qui freinent la participation économique des femmes. Le véritable progrès repose sur une transformation systémique portée par une volonté collective.
6- Quel message souhaitez-vous adresser aux 160 femmes entrepreneures ayant candidaté à l’initiative InspireHer, en particulier aux 36 remarquables participantes libanaises ?
Avant tout, je tiens à adresser mes vœux les plus sincères à toutes les participantes. Quelle que soit l’issue de ce concours, je vous invite à continuer d’avancer avec détermination. Même si vous n’en êtes qu’aux premiers stades de votre réussite, rappelez-vous que la persévérance et la patience sont les clés de toute réussite durable. Rien de solide ne se construit du jour au lendemain. Le succès fulgurant est souvent aussi éphémère qu’il est rapide.
Si vous êtes encore au début de votre parcours, considérez cette étape comme une chance de peaufiner vos idées, d’améliorer votre produit, de renforcer votre projet. Chaque progrès, aussi modeste soit-il, vous rapproche de vos objectifs et vous permet d’apprendre, de grandir, et de vous perfectionner.
J’ai une confiance absolue dans la femme libanaise. Elle est intelligente, résiliente, créative et tournée vers l’avenir. Ses compétences sont reconnues non seulement dans le monde arabe, mais aussi de plus en plus en Europe et à l’international. Elle est — et restera — une figure influente et inspirante.
Alors gardez confiance. Restez animées par cette énergie positive. Et sachez que notre association est à vos côtés — pas seulement pendant ce concours, mais bien au-delà. Nous sommes là pour vous accompagner à chaque étape de votre parcours entrepreneurial.